Recueil de nouvelles d’un cycle considéré comme un classique de la science-fiction, “La Patrouille du temps” regroupe des textes publiés au siècle dernier par un auteur ayant marqué le genre. Passionné d’Histoire, ainsi que sa série “Roma Mater” le laisse entrevoir, Poul Anderson était aussi un écrivain rigoureux lorsqu’il s’agissait de manier des concepts scientifiques, comme le savent tout ceux ayant lu “Tau Zéro”(*) !
(*) 11/10 au niveau du “Wow-level”. Un monument de la SF.
C’était également un auteur de son temps, quand il fallait livrer des histoires pleines d’aventures et de rebondissements pour être publié(*). Au sommaire de ce recueil, on ne trouvera donc aucun récit servant de prétexte à l’auteur pour nous balancer une quelconque leçon philosophique sur la prédestination, mais bien des textes dans lesquels un héros doit faire face à de nombreuses péripéties. Et dans le cas du voyage dans le temps, quoi de plus excitant que de mettre en scène une Patrouille du Temps et ses agents, chargés de réparer les paradoxes temporels qui ne peuvent que survenir !?
Tour d’horizon de ces cinq nouvelles.
La patrouille du temps
La Patrouille recrute des hommes débrouillards et courageux tout au long de l’Histoire. Chaque époque y abrite également une antenne, chargée de faire le pont avec les agents venant de périodes différentes. Se présentant à un entretien d’embauche pour un poste plutôt vague, Manse Everard, vétéran américain de la seconde guerre mondiale, va apprendre tout cela de première main ! Et après une brève période(*) d’entraînement, et un briefing sur l’organisation qu’il intègre, on l’envoie en mission dans l’Angleterre du Haut Moyen-Âge, sur la trace d’un soi-disant sorcier.
(*) Littérairement parlant. On va pas y passer trente pages non plus ! Hop, on l’entraîne et il est prêt, voilà !
La Patrouille, en tant qu’organisation, est décrite succinctement dans ce premier texte. L’enquête historique et la chasse au paradoxe de Manse n’ont rien d’exceptionnels, cela dit le schéma des futures missions de notre patrouilleur est mis en place : on sera surpris à la fois par les périodes historiques choisies par l’auteur, la nature des paradoxes temporels mis sur la route de son héros, et la manière dont celui-ci les corrigera. Ou pas.
Le grand roi
À l’origine de tous ces paradoxes, on trouvera bien souvent l’intervention, volontaire ou non, d’un voyageur temporel, officiel ou non. Si, parmi les officiels, Manse fait partie des itinérants, ceux qui interviennent sur les urgences tout au long de l’Histoire, d’autres sont plutôt des chercheurs spécialisés dans une époque particulière. Et ce qui motive cette fois Manse à intervenir, en dehors des règles de la Patrouille, c’est la disparition d’un des ces patrouilleurs-chercheurs, son meilleur ami, jamais revenu(*) de sa dernière expédition vers la Perse antique.
(*) Façon de parler ! La Patrouille a des archives du futur disant qu’il n’est jamais revenu. Mais ça ne signifie pas qu’il ne pourrait pas quand même revenir… Oui, c’est compliqué… c’est d’ailleurs le propre des paradoxes.
Jouant habilement avec les faits historiques, plutôt nébuleux et forcément teintés de légende de cette époque mal connue, Poul Anderson explore ici, bien longtemps avant Moorcock et son “Ecce Homo”, l’idée que l’Histoire trouve toujours moyen de s’accommoder des paradoxes et des voyageurs temporels.
Les chutes de Gibraltar
La réouverture(*) du détroit de Gibraltar, il y presque six millions d’années, avec l’Atlantique se jetant en une chute vertigineuse dans le bassin méditerranéen, voilà ce que j’appelle un décor fantastique, un truc qu’il faudrait voir ! On ne s’étonnera donc pas de retrouver Manse et toute une équipe de patrouilleurs dans le coin et à cette période, histoire de collecter des informations sur cet événement géologique sans pareil ! Cette fois, c’est un accident entraînant la disparition de Feliz, une patrouilleuse issue du quatrième millénaire qui va servir de point de départ à une aventure où le problème de continuité temporel à régler se révélera finalement d’une ampleur moindre, en comparaison des autres missions de Manse. En dehors du contexte historique vraiment exceptionnel, une nouvelle que j’ai trouvée moins passionnante que les autres.
(*) Oui, réouverture ! Le détroit s’est d’abord refermé, puis rouvert au bout d’un demi-million d’années ! Plus de détails ici.
Échec aux Mongols
On le sait tous, Colomb n’est sans doute pas le premier a avoir découvert les Amériques. Cela dit, c’est bien avec lui qu’en commence la conquête moderne, les incursions précédentes, celles des vikings par exemple, n’ayant jamais débouché sur une colonisation(*) du Nouveau-Monde.
(*) Non, deux ou trois villages de pêcheurs, c’est pas une colonisation…
C’est donc un accroc temporel voyant une expédition mongole mettre le pied en Amérique, hors de toute éventualité acceptable pour la Patrouille, qui oblige cette fois Manse à intervenir. Car de cette expédition, nulle trace dans les archives de la Patrouille ! Ce qui n’empêche pas la petit troupe d’explorateurs d’être sur le point de changer le cours de l’Histoire ! Excellemment narrée et pleine de détails historiques intéressants, c’est à mon avis la nouvelle la plus représentative du recueil : les rebondissements s’y succèdent dans un décor historique peu connu, mais ô combien digne d’intérêt !
L’autre monde
La dernière nouvelle s’éloigne du canevas établi jusque-là par l’auteur, puisque cette fois c’est au retour d’une mission que Manse et son équipier tombent sur LE paradoxe. Partis dans le passé réparer un accroc dans la toile du temps, notre héros et son équipier ont la surprise de revenir dans une Amérique du XXème siècle n’ayant rien à voir avec la notre et la leur ! Et même tout un monde qui n’a jamais, entre autres, connu la chrétienté, et dont l’histoire a suivi un tout autre chemin ! Bref, un monde n’ayant pas découvert l’électricité et où même communiquer avec les autochtones s’avère dans un premier temps impossible, l’anglais n’y ayant jamais été parlé !
Fruit d’un accident temporel dans lequel Manse n’a rien à voir, ce monde uchronique permet au génie créatif d’Anderson de s’exprimer dans sa pleine mesure. C’est là un monde minutieusement imaginé, et dont chaque détail semble vrai et crédible, un vrai tour de force en matière d’inventivité. L’illustration parfaite de l’érudition historique de l’auteur et de sa rigueur lorsqu’il s’agit de rendre crédible le plus incroyable. En terme d’aventures épiques, c’est aussi sans doute la nouvelle la plus haletante du recueil.
Au final…
Terriblement faciles d’accès, narrées sans temps mort, didactiques, faisant la part belle à l’action et à la réflexion, toutes ces nouvelles se sont révélées intéressantes à mes yeux ! Cela étant dit, tenu à distance par un style qui m’a paru daté, j’ai eu du plaisir à les lire mais sans ressentir l’émotion qu’habituellement les textes d’Anderson produisent chez moi. Un état de fait et une appréciation qui ne m’empêchent néanmoins pas de vous en recommander la lecture, surtout si la science-fiction plus moderne vous semble trop froide ou trop abstraite. On est ici face à de la bonne SF de grand-papa, de la meilleure veine qui plus est, et qui peut constituer une bonne porte d’entrée dans ce genre pour ceux qui craignent d’être perdus par des concepts scientifiques trop ardus. Bref, à lire et à découvrir !
Fiche JKB
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