Le saviez-vous, j’ai failli être un helléniste distingué, ayant tenté pendant plusieurs mois d’apprendre la langue d’Homère ? Bon, le grec ancien et moi, ça n’a pas été une réussite. J’ai abandonné. Tout ça pour dire que l’antiquité grecque m’a attiré très tôt (*), m’a fait faire d’étonnants choix de vie, et que dès que c’est “grec”, j’en veux ! “L’aube de fer” promet au lecteur de se promener autour de la Méditerranée quelques temps après la fin de la guerre de Troie, avec un poil de fantastique pour saupoudrer le tout ? Peu importe que ce livre n’ait pas eu de succès, qu’il n’ait pas été réédité et soit donc quasi-introuvable, je me suis débrouillé pour le trouver ! Et même si je ne peux pas crier au chef‑d’œuvre ignoré de tous après l’avoir lu, je ne comprends pas pourquoi il n’a pas eu plus de succès.
(*) Pardonnez-moi, ô mortels, car j’ai grandi en regardant Ulysse 31…
Pour cette petite visite de la Méditerranée orientale, Stover a réuni pour nous une petite troupe, difficile à ne pas prendre en sympathie ! En guise de cheffe, nous avons une barbare picte, mercenaire et marchande, accompagnée de son loup, presque plus poli qu’elle ! Pour la force de frappe, un vétéran grec revenu du sac de Troie, au visage si couturé de cicatrices que sa mère ne le reconnaîtrait pas, mais fidèle en amitié. Et pour les coups vicieux, un petit Égyptien, alchimiste et prestidigitateur, exilé en raison de ses mœurs dépravées dont la pire pour ses compagnons est son refus de se laver. Lâchez ces trois-là, mal assortis et donc taillés pour les aventures les plus improbables (*), sans le moindre sous dans une ville de Tyr en proie aux complots et où rampe dans l’ombre une obscure sorcellerie, et vous tenez là une bonne histoire ! Rapide tour d’horizon.
(*) À l’origine de leur union professionnelle ? Une chasse au sanglier géant en Crète ! Clin d’œil sans doute à la mythologie grecque qui compte deux de ces monstres mythiques.
L’Antiquité, ses héros et son surnaturel…
En choisissant un cadre historique légendaire, l’auteur s’est autorisé quelques libertés avec les lieux et les dates, fort jouissives d’ailleurs. Après tout, la guerre de Troie n’est ni vraiment datée, ni clairement située (*). On en connaît au mieux les noms des plus fameux protagonistes. Comme Barra, notre héroïne picte, originaire de la Grande Langdale au-delà de la Manche, qui n’en a retenu que la présence de son idole, Akhilleús le fameux héros au talon non moins fameux. Facile alors de glisser quelques noms plus ou moins célèbres, en profitant du flou entourant l’histoire et les légendes de l’antiquité. On ne s’étonnera donc pas de retenir que Thésée a récemment ravagé la Crète, que les grecs désœuvrés après leur guerre se sont faits pirates ou mercenaires comme les Myrmidons, et que le petit-fils de Ramsès se trouve actuellement en villégiature dans sa résidence de Tyr.
(*) Oh, oui, on a trouvé des ruines en Asie mineure… difficile tout de même de les relier au dit d’Homère.
Et les dieux, demi-dieux, nymphes, faunes et tout le toutim, allez-vous me demander ? Rien de tout ça, mon capitaine ! Le fantastique est certes bien présent, mais par petites touches uniquement et sans apparition théâtrale d’un quelconque habitant de l’Olympe décidé à se distraire. Khépéru, l’exilé égyptien de l’équipe se fait d’ailleurs passer pour un pratiquant de la magie, tout en ne recourant qu’à quelques tours relevant plutôt de l’alchimie. Il reconnait volontiers manipuler les gens, mais à l’en croire on trouve dans son royaume des sorciers tout à fait réels, néfastes et craints. Le seul qui au début semble pouvoir être qualifié de pas-tout-à-fait-humain est finalement Leucas, le géant rescapé de Troie, qui jette le doute dès son arrivée à Tyr en mettant son compte à un ours sauvage (*) à mains nues. Cela dit, le livre réserve quelques surprises du côté fantastique, même s’il est souvent difficile de faire la différence entre ce que croient les personnages et ce qui se passe réellement.
(*) Non, les ours sauvages ne trainent pas, juste comme ça, dans les rues de Tyr en attendant de défier les voyageurs ! La brave bête était en cage. La cage n’a pas résisté, voilà tout. Reste que l’exploit n’est pas commun, ce genre d’audace étant le plus souvent fatal.
Une ville en détresse
Tyr est la ville du commerce, un port cosmopolite où se croisent toutes les ethnies, où les différentes langues s’entrechoquent et qui est le théâtre d’un jeu d’influence entre les différentes grandes familles marchandes qui s’y sont établies, les Maisons. Quand notre trio arrive, la tension y est palpable. On dit que des malédictions (*) ont été proférées et le fait est que les morts peu naturelles s’accumulent. Recruté pour partir à la pèche aux informations dans les rues mal famées de la ville, le petit trio va s’embarquer dans une enquête dont les enjeux vont vite se révéler plus élevés que prévus.
(*) Dans l’antiquité, surnaturelles ou pas, les malédictions ne sont pas prises à la légère.
Au début le noir complot semble en fait cousu de fil blanc, nos apprentis-détectives découvrant assez vite l’emploi de quelque poison derrière ces sorcelleries. Mais Barra surprend tout le monde, à commencer par elle-même, lorsque se manifeste le “scion tiof”, un pouvoir directement hérité de sa grand-mère (*), sorte de conscience élargie lui permettant de voir la vraie nature des gens. Là, alors que l’affaire semble réglée, son don surnaturel attire son attention sur un homme au beau milieu de la foule. Un fait qui ne passe pas inaperçu de l’intéressé, car si Barra vient de le repérer, brûlant d’un feu ténébreux, lui aussi n’a pas manqué de la repérer. Et ne va pas tarder à lancer ses sbires sur sa piste. Car il se trame bien un terrible complot à Tyr, bien plus sombre que prévu, et qui va mettre la ville à feu et à sang !
(*) Et pour le coup, carrément paranormal là ! Bon, à l’intérêt limité, mais du vrai pouvoir fantastique.
Du bois dont on fait les héros
À partir de là, les trois protagonistes (*) vont alors changer de statut, passant de celui de mercenaires peu recommandables, et prêts à escroquer quiconque se montrerait un peu naïf, à celui de véritables héros, selon une recette éprouvée et bien connue. Quand il s’agit de sauver sa peau ou celles de ses proches, même les pires bras-cassés peuvent en effet faire preuve de courage, voire d’héroïsme !
(*) Toujours accompagnés de Graegdhuz, le loup plus ou moins domestiqué de Barra. Une grosse boule de poil pleine d’amour et toute prête à dévorer les mollets du premier idiot décidé à ennuyer la belle picte.
Voir les défauts de chacun se transformer en atouts et assister à leur évolution face aux péripéties que l’auteur leur balance dans les jambes avec une terrible régularité, voilà d’ailleurs ce qui pour moi constitue l’une des grandes force de ce roman !
Au final…
De l’heroic-fantasy, sans elfes ni épées magiques (*), d’inspiration antique plutôt que médiévale, avec ce qu’il faut de rebondissements et sans trop de ressorts fantastiques : difficile de ne pas recommander ce roman ! Suivre Barra, Leucas et Khépéru dans leurs aventures tout autant que dans leurs engueulades a été pour moi un très bon moment de lecture ! Mieux : j’ai tout autant adoré détester leurs adversaires, sans la moindre retenue, tant ceux-ci se sont révélés aussi dégoûtants qu’il est permis de l’espérer. Bref, bien dommage que les suites n’aient pas été traduites et que ce volume soit si difficile à dénicher. Si vous mettez la main dessus, n’hésitez pas !
(*) Juste des haches en pierre. C’est honnête la pierre, et ça fracasse très bien les crânes aussi !
Fiche JKB
Traduction : Frank Reichert
Titre original :
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Couverture :