
Le premier tome d’un diptyque par
J’aime bien Neal Stephenson (*), mais j’avoue qu’avec ce “Choc Terminal” j’ai dû m’accrocher, tant ce livre a semblé vouloir me submerger sous un flot de détails et d’actions, au point de me laisser déboussolé à chaque fin de chapitre. Je ne m’attendais en effet pas à me faire brinquebaler sur près de cent cinquante pages, par les routes et les bayous d’un Texas rural, surchauffé et régulièrement ravagé par les cahots météorologiques de cette fin du XXIe. Pas plus que je n’étais préparé à découvrir ce charmant état en compagnie de la Reine des Pays-Bas, la charmante Saskia, à la poursuite d’une horde de cochons sauvages mutants ! Tout ça pour me faire finalement parachuter en sa compagnie, presque tranquillement, au beau milieu d’un cocktail mondain. Enfin, d’une réunion de crise plutôt. Mais entre gens puissants et riches, et donc distingués. Tous conviés secrètement en son fief par un milliardaire excentrique. Ordre du jour : enrayer la montée du niveau des mers dû au réchauffement climatique !
(*) Enfin, quand il n’écrit pas au kilomètre : sa trilogie du “Cryptonomicon”, bien que très chouette, a failli m’endormir plus d’une fois !
Et au point où le monde en est arrivé, autant dire que c’est un problème que Stephenson s’ingénie à rendre tangible, humain et… presque dérangeant par sa banalité !
We’re so screwed !
Écrit par l’auteur en 2021, et lu par votre serviteur en novembre 2024, alors que l’ouragan Milton tentait d’engloutir la Floride, ce livre part du constat que la situation climatique actuelle ne peut qu’empirer. Notre planète, quand commence le récit, est donc dans une situation catastrophique : les températures locales extrêmes empêchent les avions d’atterrir normalement ; digues et barrages sont devenus les nouvelles fiertés technologiques de l’Amérique ; vivre dans son van, en nomade, pour fuir les sécheresses et les inondations y est devenu un mode de vie avec ses traditions. Ce qui n’empêche pas l’humanité de continuer à vivre, banalement, bon an mal an, au beau milieu de cet effondrement au ralenti. Idem pour les états, impuissants, qui cherchent à survivre sans proposer de solutions (*). À part pallier le plus pressé.
(*) Toute ressemblance avec notre situation actuelle est bien évidemment fortuite… oh wait !
Un manque de volonté qui a fini par motiver T. R. Schmidt, un milliardaire aux airs de gentil papy mais particulièrement brillant, à consacrer sa fortune et ses considérables moyens à trouver une solution. Fonctionnelle, et pas utopique. Quitte à défier le monde entier en prenant une décision radicale, celle qu’il a choisie : la géo-ingénierie ! Saskia, ces hommes d’affaires venus de Singapour, ces dignitaires vénitiens et le maire de Londres, tous issus des régions les plus menacées par la submersion sont là pour enfin en apprendre plus. Ce qui n’arrivera qu’après quelques dizaines de pages dans lesquelles Schmidt, ou Stephenson par sa bouche plutôt, fera étalage des causes absurdes ayant conduit à notre déroute en tant que civilisation. Raisons au nombre desquelles figure bien sûr notre actuelle inaction et notre addiction à tout ce qui brûle (*).
(*) Pétrole, gaz, charbon : on en brûle pour faire des routes et pour faire avancer les véhicules qui les parcourent. Une spirale exponentielle.
Make our planet great again !
Les solutions brutales au problème de l’effondrement environnemental n’ont pas la cote, ni maintenant ni dans ce futur cauchemardesque dans lequel l’auteur nous plonge. Pourtant, comme prend le temps de le démontrer Schmidt/Stephenson, les solutions les plus écologiques et les plus morales sont vouées à se vautrer, puisqu’elles doivent compter sur une intelligence collective, et ce sur une longue durée. À titre de démonstration, Schmidt démonte totalement la solution consistant à “planter des arbres pour capter le carbone” (*), et donc à s’en remettre à une méthode dite naturelle ou douce.
(*) Comme l’explique Stephenson, si on parvenait à planter l’équivalent en surfaces boisées du Canada, il faudrait bien se dire que ce bois, on ne pourrait juste rien en faire. En tous cas pas le brûler… et il faudrait recommencer le processus sur plusieurs générations… je pouffe.
Parvenus à ce point des explications et des boniments de leur hôte, Saskia et les autres invités vont se retrouver au beau milieu des terres arides du Texas, dans une forteresse quasi-militaire, pour apprendre que T.R. Schmidt ne les a pas conviés pour les convaincre de financer son improbable projet ! Ce dernier a déjà été lancé avec succès et tourne en fait à plein régime ! Non, c’est plutôt pour se trouver des alliés convaincus de la justesse de sa solution sur la scène médiatique et politique internationale qu’il les a invités. Car s’en remettre à une solution relevant de la géo-ingénierie, même celle (*) qu’il a finement choisie , voilà qui va forcément faire du ramdam.
(*) Et que je n’ai pas la place d’expliquer ici. Sachez qu’il y est question de missiles et de soufre, voilà ! Pour en savoir plus, z’avez qu’à lire ce livre !
Let me Google that for you !
Stephenson a visiblement fait ses devoirs avec application, ce qui donne une vraie profondeur à son texte, quitte parfois à noyer un peu le lecteur sous nombre de détails, chargés pour certains d’ancrer son futur dans notre présent et notre passé, et pour d’autres d’épaissir certains protagonistes (*). Tout semble crédible, les extrapolations scientifiques tout comme les personnages par les yeux desquels l’auteur nous rend compte de l’état du monde. Bilan : l’humanité, bien qu’à la veille de son extinction demeure semblable à elle-même et vit sa petite de vie, au bord du précipice. Toute ressemblance avec… enfin, vous voyez !
(*) Vous ne vous remettrez pas des anecdotes liées aux camps de prisonniers de l’Asie du Sud-Est d’après la deuxième guerre mondiale, croyez-moi !
To be continued…
Le saviez-vous ? Il y a une frontière contestée entre l’Inde et la Chine, une bande de terre faite de cols, de vallées et de plateaux montagneux, où les deux pays mènent une guerre à bas bruit ! Si je vous en parle comme cela de but en blanc, c’est que c’est également l’un des décors de “Choc Terminal”. Stephenson a en effet entremêlé une autre histoire à sa trame principale. Celle d’un fils d’immigré de cette dite région, qui, voulant se reconnecter à son héritage culturel, entame un pèlerinage vers cette partie reculée du monde. À la fin de ce premier tome, je m’avoue incapable de deviner en quoi cette histoire secondaire, mais qui occupe de nombreux chapitres, s’intégrera dans le tout. De quoi attiser ma curiosité, mais aussi de quoi m’inquiéter : soit son destin et celui de Saskia s’entremêleront en un final brillant, soit pas (*).
(*) L’auteur fait deux types de bouquins : ceux qui ont un dénouement qui claque, et ceux qui se contentent de proposer du fond.
Alors, faut-il se lancer dans ce tome 1 ? Oui, même si on peut émettre quelques réserves quant à sa forme. Un défaut pour moi, mais sans doute un atout pour d’autres. Je prévois bien entendu de lire la suite.
Fiche JKB
Traduction : Benoit Domis
Titre original :
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Couverture :