Le premier livre d’une série par
N.K. Jemisin, est une autrice américaine dont je ne cesse de recommander le travail depuis ma découverte des “Chroniques de la Terre fracturée” ! Il faut dire que la dame a une manière d’écrire que je trouve quasi parfaite et qu’elle possède le talent rare de raconter des histoires originales, d’une manière qui ne ressemble à aucune autre ! Une autrice qui, loin de se cantonner aux territoires balisés de la fantasy à la mode ou même classique(*), sait créer des univers particuliers, tous aussi originaux que remarquablement bien construits !
(*) Pas de romance entre mortelles et vampires, et pas de dragons ni d’elfes non plus !
On ne s’étonnera pas alors de savoir que j’attendais avec impatience et anxiété cette lecture ! Et je dois dire que dès les premières lignes, j’ai été à nouveau emballé par le style de cette autrice : tout en retenue mais capable en quelques mots de vous planter tout un décor ! Un décor que Jemisin remplit de cris, d’odeurs et de bruits, brossant en quelques pages à peine un monde aussi exotique que crédible dans chacun de ses détails, tout en plongeant immédiatement le lecteur dans une intrigue sombre, torturée et haletante !
Gujareh la prospère
“La lune tueuse” propose au lecteur un monde fantastique peu éloigné du nôtre, peuplé exclusivement d’humains sur lesquels veille Hanujah, la déesse-lune. Un monde dans lequel le surnaturel existe bel et bien et qui se manifeste parmi les mortels sous la forme d’une magie exclusivement maîtrisée par les prêtres. Des prêtres tels qu’on en trouve à Gujareh, décor principal de l’intrigue, capitale d’un royaume rappelant l’Égypte antique ou Babylone, entourée de contrées désertiques que les marchands traversent à dos de chameau. À la tête de ce royaume officie un prince, considéré comme un demi-dieu car promis à l’union divine avec Hanujah elle-même après sa mort. Un prince qui règne en attendant(*) sur un peuple stratifié en castes : des esclaves aux marchands, des soldats aux courtisanes sacrées ; sans oublier les prêtres d’Hanujah et leurs cohortes de disciples dévoués.
(*) Oui, en attendant ! La divinité c’est cool, mais pas au point de vouloir renoncer précipitamment aux plaisirs de la vie. Surtout quand t’es prince.
Politique, magie et religion s’entremêlent donc dans cette ville, la nimbant ainsi d’une aura spéciale qui semble autant réjouir ses habitants qu’elle inspire la méfiance de ses visiteurs. Une ambivalence directement reliée à la “narcomancie”, cette magie qui permet d’utiliser les rêves comme une source de pouvoir, et sur laquelle s’appuie la prospérité et le bon fonctionnement de Gujareh. Ainsi, dans son temple dédié à Hanujah, on soigne les malades et les infirmes en leur insufflant une part de cette énergie magique, le “sang onirique”. Une énergie bienfaisante et aux effets réparateurs, mais limitée et nécessitant d’être collectée régulièrement, au nom de la déesse bien sûr. Une collecte qui exige une maîtrise rigoureuse, une prise excessive pouvant en effet tuer les donneurs. Et donc une tâche réservée à une élite parmi le clergé, puisque seuls quatre prêtres en sont jugés dignes, préparés et entraînés dans ce but depuis l’enfance.
Prêtre et vampire. Et ninja.
Quatre prêtres honorés pour leur aptitude à prélever le sang onirique, les Collecteurs, mais qu’on craint aussi de rencontrer. Car ils sont en effet aussi chargés du passage de la vie à la mort des vieillards et des malades, ceux que le sang onirique des autres ne peut plus guérir(*), mais qui en possèdent encore assez en eux pour qu’on prenne la peine de le collecter. Et ce sont d’ailleurs souvent les mourants eux-mêmes qui décident d’en appeler à leurs bons offices, décidant de se sacrifier pour le bien des autres et de la cité.
(*) Quand t’en croises un chez toi, c’est que les nouvelles sont pas bonnes ! Mamy passera pas la nuit !
Mais il y a une autre raison qui les rend encore moins sympathiques à croiser à l’improviste : leur aptitude à tuer les gens dans leur sommeil, en leur prenant la totalité de leur sang onirique, en a aussi fait les assassins sacrés de la cité, chargés de punir ceux qui enfreignent les lois d’Hanujah ou qui complotent contre Gujareh. Et donc des prêtres qu’on retrouve parfois à sauter de toit en toit, dans la ville endormie, pour se glisser sur la terrasse d’un appartement, assommer quelques gardes du corps(*) et achever le criminel en douceur dans son sommeil. De quoi expliquer pourquoi les étrangers n’aiment pas traîner plus que cela dans la belle, mais tout de même un peu inquiétante, Gujareh !
(*) Vampires et ninjas ! Bon des vampires oniriques, soit, mais : ninjas quand même !
L’assassin, son apprenti et l’espionne
Vu de Gujareh, si on y a grandi, le système qui régit cette ville n’a que des bénéfices, et c’est bien ce que pense Ehiru, l’un de ces prêtres assassins et celui qu’on s’accorde à considérer comme le meilleur. Un avis que partage bien entendu Nijiri son apprenti, qui brûle de servir la déesse lui aussi et de répandre la guérison, le bonheur et la mort(*) dans sa cité, comme son maître. Mais, pour Sunandi par contre, une espionne envoyée comme ambassadrice à Gujareh par les autorités de Kisua, une cité rivale, cette ville est un asile de fous à ciel ouvert ! Pour elle, l’apparente félicité dans laquelle baigne ce peuple n’est qu’un mensonge, dissimulant une théocratie dévoyée s’appuyant sur une magie abominable : la narcomancie !
(*) – Allons tuer dans la joie et l’allégresse, pour notre déesse et notre souverain !
Car le sang onirique n’est pas que bénéfique et peut en fait tout autant se montrer dangereux. Ehiru, qui doit en collecter régulièrement, en est par exemple dépendant au point d’en redouter le manque. On dit aussi qu’en absorber trop sans pouvoir le redistribuer peut faire de vous un monstre. Et, bien entendu, on peut également en détourner l’usage médicinal pour s’en servir comme d’un élixir de puissance. Des faits et des rumeurs que connait bien Sunandi, et qui sont en partie les raisons de sa mission. Et à force de trop fouiller dans les secrets de la ville, vous vous doutez bien que la belle ambassadrice(*) ne va pas tarder à être jugée coupable de “comploter contre Gujareh”. Le genre de jugement qui vous vaut la visite nocturne d’un Collecteur de sang onirique, et à cette occasion, accompagné de son apprenti !
(*) Assez en tous cas pour provoquer la concupiscence du prince auquel son harem semble loin de suffire !
Et ce n’est que le début(*)
Impossible d’aller plus loin sans vous livrer des spoilers aptes à vous gâcher la lecture, chers amis ! Au mieux puis-je espérer vous convaincre qu’on ne s’ennuie pas une minute en lisant ce roman, et que N.K. Jemisin sait magnifiquement jouer des impressions de ses personnages pour immerger son lecteur dans son histoire et son monde. Un monde s’étendant bien au-delà de Gujareh et qu’au fil de l’histoire l’autrice arrive à rendre aussi vivant qu’envoûtant, n’oubliant jamais de glisser subtilement quelques détails révélant le soin qu’elle a pris à le créer. Magique !
(*) J’ai à peine effleuré les cinquante premières pages !
Au final…
Je crois que c’est clair depuis le début : j’ai adoré ce livre ! Oh, peut-être un peu moins que les autres romans de cette autrice, je l’avoue. Raison pour laquelle si devais recommander un livre pour découvrir N.K. Jemisin, ce serait sans doute celui-ci, plutôt que les deux trilogies que j’ai déjà lues d’elle. Et à tout le moins, même le débutant en fantasy devrait y trouver son compte, la part de sombres complots et d’actions effrénées n’étant jamais éclipsée par le côté surnaturel de ce récit. Bref, un livre que je recommande chaudement et qui je l’espère saura vous combler autant que moi ! Dernier détail, mais de taille : ça a beau être un premier tome, l’intrigue proposée tient très bien en un seul volume, et j’avoue être curieux de savoir ce qui lui vaut une suite.
Fiche JKB
Titre original :
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Couverture :
Une réponse à “La lune tueuse”
Comme Jemisin est une autrice intelligente, la suite se passe 10 ans plus tard, alors que certaines conditions ont changé… 😉