Tepuy

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6 minutes

Baranger est un auteur chevronné qui sait comment attraper son lecteur dès les premières lignes et qui a suffisamment de métier pour savoir comment le retenir jusqu’aux dernières. “Tepuy” démarre en nous plongeant dans une jungle inhospitalière inconnue au côté d’une protagoniste elle-même perdue, amnésique et plutôt salement contusionnée. Des blessures apparemment récoltées à la suite d’un saut en parachute, manifestement pas trop réussi. Un saut dont elle n’a pas le moindre souvenir, mais dont la réalité est attestée par le harnais en lambeau qui la retient à la branche d’un arbre. Isolée, sans vivres ni ressources, elle n’a rien pour s’en sortir, hormis son instinct et la voix d’un inconnu communicant avec elle par l’entremise d’un talkie-walkie, lui aussi miraculeusement rescapé de la chute.

“Tepuy” est un récit se déroulant à notre époque, ou dans un avenir proche, et qui mêle avec brio les aventures de la très badass Ruzena tentant de s’extirper d’une jungle mortelle quelque part en Amérique latine et une enquête sur les pratiques peu angéliques d’une firme pharmaceutique nord-américaine, qui jongle avec les milliards et les règles éthiques. Avec comme décor la jungle l’Amérique du Sud, continent sauvage, mal connu et auréolé de légendes comme ces royaumes perdus soi-disant fondés par des extra-terrestres(*) ou ces chamans ayant pactisé avec des forces inconnues. Une situation de départ simple et séduisante donc, additionnée rapidement d’une dose de mystères, car Ruzena va bien vite s’apercevoir que cette jungle n’est pas si dépeuplée que ça.

(*) À ce propos, il faut à tout prix lancer une pétition pour faire cesser la diffusion d’Ancient Aliens ! Les gens qui regardent ce truc, y croient et veulent vous en parler : au secours !

Badass, évidemment

Ruzena a beau ne pas avoir les idées bien claires, ne pas savoir son nom(*) et souffrir le martyr, elle ne va pas se comporter comme une frêle écervelée face à l’adversité. Ce qui nous permet de ne pas la voir mourir bêtement, victime d’une rencontre avec un quelconque prédateur ou empoisonnée après avoir renifler le pollen d’une plante exotique. Le roman aurait été beaucoup plus court sinon, et donc oui ! elle va vite se découvrir un instinct de survie, des réflexes et une condition physique façon Lara Croft.

(*) Durant les premières pages seulement, hein !? L’inconnu du talkie-walkie va le lui révéler assez vite.

Tout le contraire de Chris, celui qui lui parle via talkie-walkie, perdu comme elle dans cet enfer tropical et qui semble physiquement bien plus mal en point qu’elle et largement plus à la ramasse. Normal, lui est un animal habitué aux bureaux et aux salles de réunion feutrées alors qu’elle, lui apprend-il, est une sportive de l’extrême habituée aux environnements mortels. C’est d’ailleurs elle qui pilotait l’avion dont ils ont dû sauter, et elle aussi qui a décidé de cette mission pour se porter au secours d’Edward, son fiancé disparu en expédition, et le frère de Chris. Badass la nana, je vous disais !

Un détective old-school

En parallèle de cette intrigue de survie en milieu hostile, l’auteur nous fait suivre un autre personnage, Clinton Fisher officiant en tant que détective privé(*) à Atlanta. Engagé par le patron de l’aérodrome dont l’un des engins a disparu, visiblement “emprunté” par Ruz et Chris, qui s’avoue plus inquiet pour Ruz, son amie, que par la perte de son avion ! Une enquête de routine, quelques questions à ses proches et on découvrira bien vite le mobile et la destination de la jeune pilote, se dit Fisher.

(*) Old-school. Avec le chapeau, l’imper et tout. Et grand lecteur.

Le problème étant que ces quelques rares proches de Ruz… se trouvent tous aux abonnés absents ! Edward, le fiancé de Ruz, mais aussi le frère de celui-ci, Chris que personne n’a revu à son bureau depuis quelques jours. Un bureau qui se trouve être le siège d’une grosse pharma employant Chris, mais aussi Edward, ce dernier en tant que brillant chercheur. Des détails que Fisher va rapidement regretter avoir appris, car on connait tous le topo : les multinationales ont souvent de petites choses à se reprocher(*) et n’apprécient pas trop les fouineurs qui pourraient tomber dessus. Et de fil en aiguille, c’est soudainement Fisher qui va se retrouver la cible de recherches, plus qu’insistantes, du genre à se finir par un entrefilet dans les pages des faits divers.

(*) “– Monsieur le juge, mes clients jurent qu’ils ignoraient acheter ce pétrole à des terroristes…”

Un “tepuy”, c’est quoi ?

Ravi que vous me posiez la question ! C’est une curiosité géologique qu’on trouve au Venezuela et aux alentours, des sortes de mini-montagnes aux flancs très abruptes, avec un large sommet plutôt plat, et donc souvent recouverts de forêts, avec leurs faunes et leur flores uniques. Des écosystèmes de poche, merveilles de la nature, dans lesquelles on peut tomber par hasard sur un insecte ou une plante dont la biologie secréterait peut-être une molécule capable de faire progresser la recherche(*). De quoi motiver une compagnie, du genre à transformer n’importe quoi en médicament, à y envoyer un chercheur brillant comme le fiancé de Ruz.

(*) Et d’augmenter les profits. La santé, c’est bien, mais ne perdons pas de vue l’essentiel de l’industrie pharmaceutique : la moula !

Mais je pourrais aussi vous répondre que les tepuys sont des endroits que les autochtones évitent, les disant magiques, maudits et hantés par des démons ou bien pire. Une croyance un peu simplette me direz-vous, mais assez près de remporter l’adhésion de Ruz qui, après être tombé sur une idole à l’aspect particulièrement flippant va se voir prise de visions qu’on qualifiera d’outre-monde, pour ne pas trop spoiler. À partir de là, la survie en jungle hostile va bien vite prendre un tournant fantastique et même totalement science-fictionnel, à 100% ! Une tournure des événements qui ne surprendra pas le lecteur aguerri(*), mais qui est déroulée avec un sens de la mise en scène faisant honneur à François Baranger. Lequel n’hésite pas à puiser dans l’imaginaire et la culture populaires pour agrémenter son récit de rebondissements et de révélations surprenants, mais toujours agréablement familiers.

(*) Et vous non plus. Car vous avez lu ce résumé. Et que c’est écrit “SF” sur la couverture, aussi !

Au final…

En écrivant “Tepuy”, l’auteur semble avoir voulu assumer un pur roman d’aventure dont le découpage cinématographique léché est quasiment un hommage à certains genres de films. Des modèles que ce texte se permet même de dépasser joyeusement, réussissant à maintenir une cohérence interne et une tension de tous les moments, deux éléments qui manquent à la plupart des scénarios hollywoodiens.

Bref, Baranger en nous livrant “Tepuy” n’a certainement pas eu l’ambition de révolutionner la science-fiction, mais ça ne l’a pas empêché de réussir une prouesse, pas si fréquente de nos jours, à savoir offrir au fan de SF un page-turner efficace, jouissif et prenant. Je me suis en tout cas bien amusé en le lisant, et si vous tentez l’aventure, vous ne devriez pas vous ennuyer non plus !


Fiche JKB

  • Genre : Lara Croft/Predator/“Constant Gardener”
  • Wow Level : 6/10. Oui, parce que bon, je suis un lecteur “aguerri” (c’te blague !).
  • Note personnelle : 6.5/10. On passe un bon moment.
  • Un peu plus de 500 pages. Style limpide, rythme soutenu : ça va vite !
  • Probabilité de relecture : 49% Beaucoup plus qu’un Annihilation, en tous cas !

Titre original :

Tepuy

2020

Couverture :

François Baranger

Illustrateur aussi, et plus que doué !

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