Par Frederik Pohl
Quand en 1977 est publié “La Grande Porte”, Frederik Pohl est déjà un vieux briscard de la SF, immergé dans le milieu depuis les années 30, agent littéraire d’Asimov, “éditeur” de pulps magazines, anthologiste, et collaborateur d’autres auteurs (dont Jack Williamson). Et c’est pourtant, à l’époque, un récit tout à fait novateur, loin des poncifs joyeux de la SF des anciens. J’avais déjà touché à cette série (5 volumes) en achetant au hasard “Les annales des Heechees” (l’avant-dernier !), et bien qu’un peu paumé, vu le manque de contexte, j’avais trouvé ça pas mal du tout.
Contexte : l’homme, l’univers et le reste…
Dans le futur proche(*), la conquête spatiale du système solaire patine, la Terre et ses habitants (ainsi que, ô surprise ! ceux de Vénus !) souffrent de la surpopulation et de la pollution, et l’univers semble si vaste et lointain que c’en est déprimant. Mais récemment : une bonne surprise ! Un artefact alien aux confins du système solaire ! Enfin, plutôt un gros astéroïde évidé par des aliens, laissé à l’abandon avec quelques outils et des centaines de vaisseaux spatiaux ! Pas trace des propriétaires, partis depuis des milliers d’années, pas de mode d’emploi pour toute cette technologie furieusement en avance sur celle de l’humain. L’artefact est nommé la Grande Porte, la civilisation alien les “Heechees” et la course à “plus-de-technologie-heechees” est lancée. Car bien que celle-ci reste dans l’ensemble obscure à l’entendement des scientifiques humains, quelques bribes en sont néanmoins comprises, et plus ou moins appliquées avec succès, rapportant ainsi la richesses aux “découvreurs” et l’espoir à l’ensemble de l’humanité : l’espoir d’un bon en avant, d’une nouveauté pouvant la sauver. D’ailleurs, c’est pareil avec les vaisseaux spatiaux heechees : on ne comprend pas trop comment ils fonctionnent, mais les voyages réalisés à leurs bords et leurs destinations finales peuvent se révéler… des plus intéressants !
(*) Un XXIème siècle mieux et pire que le notre en même temps, on dirait…
“Push that button!”
La Grande Porte semble être un terminus pour vaisseaux heechees, l’entrepôt en est plein, et ils ne sont pas bien grands. Mais ces vaisseaux spatiaux, équipés de tableaux de bord avec cadrans et boutons, sont de vraies énigmes à eux seuls aussi : ils voyagent, visiblement, plus vite que la lumière (ce qui est impossible), semblent supporter un équipage humain réduit (les heechees devaient vivre dans les mêmes limites biologiques que nous) et sont programmés pour revenir à la Grande Porte automatiquement. Si on, et quand on, appuie sur le bouton de retour. Et s’ils semblent en effet programmés pour revenir, ils semblent également programmés pour des destinations bien précises. Quoique totalement inconnues à l’avance. En effet, pour le départ aussi, ça se résume à appuyer sur un bouton et attendre en espérant que le voyage ne sera pas plus long que les réserves vitales. Mais parfois, au bout, c’est LE jackpot : une planète, une station heechee ou des artefacts technologiques quasi-magiques ! Il faut donc être aussi fou qu’audacieux pour s’engager dans de tels voyages ! Et des fous audacieux, l’humanité n’en a jamais manqué…
Méthode narrative, personnages et intérêt
Bilan : on ne s’ennuie pas ! Ce roman est un vrai page-turner, bien écrit, avec un personnage central aussi sympathique par moments qu’il peut parfois se montrer insupportable. Robinette Broadhead est un “pilote” de la Grande Porte, qui a réussi un très enrichissant voyage aller-retour dans un vaisseau heechee. Son histoire avance selon deux lignes narratives : celle de ses début en tant que pilote, et celle de sa retraite dorée sur Terre après son voyage. Retraite pas si dorée que ça, “Bob” passant pas mal de ses après-midis chez son psy à la recherche d’un repos que son dernier voyage ne lui pas rapporté en même temps que la richesse. Son psy, qu’il hait, et qui se trouve être une IA(*), nommée Sigfrid Von Shrink(**). L’alternance entre ces souvenirs commentés, et les faits de l’époque rend le tout très grinçant et totalement captivant : on veut rapidement vraiment connaître le fin mot de l’histoire, et le dénouement est en effet à la hauteur de l’attente ! Presque… il y a des suites…
(*) Le livre est de 1974, le mot n’est même pas utilisé.
(**) Blague à deux bandes : Sigfrid pour Sigmund Freud ; Shrink, un “réducteur de tête”, terme péjoratif pour désigner un psychanalyste dans l’Amérique des ’70s.
Recommandé !
Un classique, bourré de bonnes idées, marrant, prenant ! Parfois un peu suranné dans ses spéculations technologiques, mais le niveau “science” reste tout à fait acceptable. Et bien plus que ça : au niveau astronomie et astrophysique, l’auteur fait passer facilement des concepts ardus. Enfin, pour ceux qui sortent de “The Expanse”, la série, la preuve que les idées de SF ne sont jamais bien neuves…
Fiche JKB
Titre original :
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