Annihilation (et ses suites)

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8 minutes

Une série et un tome 1, par Jeff Vandermeer

On va aller vite : qu’on me rende mon temps perdu, celui que j’ai gaspillé en espérant que le tome 2 et le tome 3 de cette “trilogie du Rempart Sud” allaient, peut-être, m’apporter quelques réponses, tant la fin d’Annihilation était frustrante ! Et ce premier tome, un Nebula(*) pour ça, pour si peu !? Et puis non, je vais un peu m’étendre pour m’expliquer, et pour critiquer dans la lancée toute la série qui m’a baladé sur trois livres. L’auteur a parait-il désavoué l’adaptation cinématographique du 1er tome ; moi c’est toute sa trilogie littéraire que je désavoue : une sombre escroquerie(**) ! Oh, bien sûr, je suis seul responsable d’avoir voulu persévérer dans l’erreur. Et puis les prémices semblaient de bon augure, même si (et peut-être surtout si) le pitch semblait trop familier pour être honnête…

(*) Nebula : prix décernés par les fans/lecteurs de SF.

(**) Et j’irais même jusqu’à dire que le film, alors que juste passable, est laaaaargement au-dessus du 1er tome, le seul à sauver de la trilogie du “Rempart”.

Attention ! Zone indicible !

Le pitch ? Dans un endroit, qu’on ne situera pas, la Zone, se passent des choses étranges, qu’on se garde bien de vous expliquer avant de vous y expédier (vous, la narratrice) avec vos acolytes. Acolytes dont les vrais noms ne seront pas donnés, et qui se réduiront à leur fonction/connaissances scientifiques : la narratrice est la biologiste, la cheffe la psychologue. Quatre exploratrices en tout. Dont une géographe (détail piquant, vous le verrez). Les personnages sont un peu déboussolés, tout comme le lecteur. Au début, ce côté nébuleux est alléchant : dans la Zone tout semble étrange (la lumière, la flore, les insectes, les oiseaux et même, si si, les lumières étranges le sont aussi) sans que ce soit décrit plus précisément que ça. Mais c’est attirant (en tant que lecteur, hein ! en tant que personnage du livre, je rebrousserais chemin à la première occasion). On se laisse aller, le débit narratif est clinique, posé, intrigant. Hypnotisé, comme la narratrice avant son entrée dans la Zone(*), la biologiste toute esbaudie par l’étrangeté de la Zone, on poursuit la mission/sa lecture.

Et on se dit, indulgent, que Jeff Vandermeer n’en dit pas trop, parce que tout ça s’expliquera plus tard, et que faire dans le “non dit” est une vieille technique d’écriture du genre. Ça fait genre “Lovecraft”, la Zone semblant s’être formée autour d’un “truc tombé du ciel”(**).

(*) Une mesure “préventive” pour que l’équipe ne devienne pas folle lors de la transition extérieur/Zone. Oui, ça n’a pas de sens immédiat, je suis bien d’accord !

(**) Et là, c’est le drame ! Soit ça marche sur vous, soit vous vous rendez compte que ça va être tout pourri la suite. J’ai continué.

“Soyons prudents, il faut s’attendre à tout”

Puis la narratrice respire/sniffe une fleur étrange, se sent toute bizarre (et, pour tout dire, aussi un peu étrange) et se demande si elle n’hallucine pas, ou si, mieux, elle n’est pas soudain devenue plus clairvoyante à propos de la Zone, de la mission : sur tout. Loin d’alerter ses équipières, cette biologiste, fait preuve d’un zèle remarquable, à la limite de la parano, pour que son état passe inaperçu auprès des autres. Elle feint simplement de continuer la mission, devenant juste de plus en plus méfiante, de son environnement comme de sa cheffe de mission, la psychologue. Devient-elle folle ou se rapproche-t-elle du vrai ? La psychologue se rend-elle compte de quelque chose ? On ne sait pas… et la narratrice non plus.

(*) C’est un peu tard, hein, pour être prudente Madame ! Il aurait fallu être prudente avant de sniffer une fleur étrange… après, évidemment…

Mais tout le monde s’y perd !

Par la suite, l’équipe s’égare, se sépare, se retrouve, personne ne comprenant la géographie de la Zone. Les scientifiques, dont la géographe(*), sont pourtant pourvues de “cartes” et de “plans”, mais soit ceux-ci sont faux, soit la Zone change étrangement, soit c’est l’équipe qui perd la boule à cause de l’étrangeté de la Zone, ou alors, c’est le Rempart qui les a trompées. Et là, moi, lecteur, je me suis dit que si Vandermeer n’en expliquait pas plus, c’était peut-être parce qu’il n’en savait pas beaucoup plus que moi ou que ses personnages sur la Zone. Laquelle, à part être étrange, ne doit pas avoir beaucoup d’autres adjectifs la décrivant dans le synopsis du roman (s’il existe).

(*) Le voilà le détail piquant !

Il n’y a pas de plan !

Pas de plan valable de la Zone, mais également aucun plan dans la narration de l’auteur ! Ça ressemble à de l’improvisation, dont émergent ici ou là une ou deux rares bonnes idées, mais… À ce stade, on se dit également que les dirigeants de l’organisation (le fameux “Rempart du Sud”, qui donne son nom à la trilogie) informe au minimum ses équipes d’explorateurs, par jeu ou parce que la Zone les a déjà rendus fous. On en vient même à s’imaginer sa propre carte de la Zone telle que Jeff doit la voir : une sorte de vague ovale, la Zone, avec des petits points d’interrogations disséminés au hasard, et un point central marqué “Ici-le-mystère-étrange !” Un lieu-concept à ne pas décrire trop précisément pour lui garder du mystère. Allez, je vous spoile : un phare, qui s’avérera abriter en fait un gouffre !(*)

(*) “Parlez-moi de vos sentiments pour votre mère…”

Tout le monde devient fou dans la Zone, ou l’est avant. Dehors aussi.

Au bout de quelques pages, on apprend en effet que l’endroit rend étrangement fou, quand il ne vous tue pas ; que cette expédition de scientifiques, spécifiquement des femmes (pourquoi ?) est loin d’être la première, et que le fait de nommer les membres de l’équipe par leur fonction est une “technique”(*) pour se parer contre les dangers de la Zone… Ce qui laisse l’impression que tout est fou, que le Rempart est fou, qu’il semble avoir choisi exprès des personnalités borderline pour cette expédition (et pas que la biologiste, perchée bien avant son sniff’), et peut-être aussi pour les précédentes(**). Révélation : quand il arrive que de rares explorateurs ressortent de la Zone, on nous apprend qu’ils en reviennent incohérents et plus ou moins amnésiques, totalement inutiles, et qu’ils finissent tous par mourir. Ce qu’on doit s’amuser quand on travaille pour le Rempart !

(*) Une technique préventive qui “blablabla”, cf. supra, et dont les raisons resteront brumeuses.

(**) Pardon, je ne spoile pas, c’est implicite dès les premières pages !

Suite et suite de suite !

J’aimerais dire que la fin d’Annihilation est gentiment hallucinée (*), mais elle m’a surtout donné envie de ne pas parler avec Jeff Vandermeer de sa mère ou de son rapport aux symboles phalliques, et arrivé à la fin de ce 1er tome, j’aurais dû m’arrêter là. Mais j’ai été un peu naïf, j’ai eu de l’espoir, et j’ai bien entendu commandé la suite (d’occasion).

Pauvre de moi ! Si le 2nd tome, “Autorité”, qui poursuit la continuité de l’histoire avec la biologiste, passe les quelques premières cent pages à faire illusion, il finit par laisser l’impression que si oui, la Zone pose bien problème, l’organisation “Rempart” elle aussi ! Elle est belle et bien dirigée par des gens qu’on devrait enfermer dans un asile (et avec qui vous ne voudriez vraiment pas avoir des conversations, ni à propos de leurs pères et mères, ni à propos de leur rapport au sexe et au pouvoir). Et c’est pour moi la seule contribution (**) à l’intrigue de la série de ce 2nd tome, en même temps qu’une mise en garde : pas de réponses aux mystères, peu de chance d’une fin intéressante. La série ne va et n’ira nulle part, elle s’égare, c’est tout.

(*) J’ai assez abusé de l’adjectif étrange comme ça, et de plus, “halluciné”, c’est indiqué !

(** )Ah, non : des gens du Rempart ont eu une fois l’idée de lâcher des lapins dans la Zone. Pour voir… O_o

Pour le 3ème tome, “Acceptation”, j’avoue avoir accepté, résigné, de le lire malgré le total délitement de l’intrigue, s’il y en avait jamais eu une jusque là (*). J’ai poursuivi mon calvaire, avec l’espoir de plus en plus réduit qu’il y aurait un dénouement, une explication, un truc. Non. Juste plus de gens fous, plus de rapports toxiques pères/mères-fils/filles, et de moins en moins de réponses à des questions de moins en moins en rapport avec la Zone

(*) Oh, surprise ! Un personnage du 1er tome ! Quelle inventivité !

À d’autres !

Bref, monsieur Vandermeer, vous avez gagné un prix et vendu plein de livres, mais moi, désolé, vos trucs, sur moi, étrangement, ça n’a pas marché. Je ne recommande donc pas du tout, sauf pour se faire du mal ou si on aime les histoires dont on se raconte soi-même la fin. Et je m’excuse d’avoir pris tant de lignes pour le dire. Ça ne les méritait pas.


Fiche JKB

  • Genre : New Weird, Horreur/SF/Fantasy, on ne saura pas ! Je tente : “Récits sur une Zone étrange.”
  • Wow Level : 3/10. Il y avait ces prémices alléchants. Il y avait de quoi faire !
  • Note personnelle : 2/10. Un Nebula ? Pour ça ? Rendez-moi mon temps !
  • Long. Jusqu’à ce qu’on se mette à lire en diagonal les passages les plus ennuyeux. En vrai, pas beaucoup de pages.
  • Probabilité de relecture : Aucune !
  • Fiche sur Noosfere avec une vraie critique du 1er tome par Thomas Day, publiée dans Bifrost.

Titre original :

Annihilation

2014

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