La croisière bleue

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9 minutes

Par Laurent Genefort

L’univers des “Temps ultramodernes” méritait vraiment de se voir prolongé(*). Pour moi, l’annonce d’une suite, ou plutôt d’une exploration des concepts évoqués en toile de fond de ce roman, figurait donc au nombre des bonnes nouvelles de la fin de l’année dernière ! Recueil de plusieurs textes, dont deux longues nouvelles, trois plus courtes et d’autres textes “surprises”, la “Croisière Bleue” étend en effet cet univers uchronique riche et étonnant ! Ces textes, se concentrant subtilement autour d’une période et d’événements bien précis, se révéleront narrer au final pourtant une seule et même histoire.

(*) Prix Rosny Aîné 2023 et prix Uchronie Actu-SF 2022, quand même ! Topo rapide : après la découverte de la cavorite‚ un métal capable de faire léviter n’importe quoi, la civilisation de l’époque des “années folles” s’envole jusque vers la Lune, Mars, et même Vénus. Des mondes se révélant habitables, tout comme on le croyait à l’époque !

Au nombre des textes “surprises”, il y a les “Cavorites”, s’intercalant entre les nouvelles : articles ou coupures de presse relatant et analysant quelques faits divers, souvent étonnants, parfois drôles, mais toujours instructifs quant à l’impact de la révolution cavoritique sur ces années plus que folles ! En guise de conclusion, on (re)trouve aussi “L’Abrégé de cavorologie” que Laurent Genefort avait rédigé comme une sorte de support servant la cohérence de son univers et mis en forme à l’occasion de la sortie des “Temps ultramodernes”. Un manuel de vulgarisation scientifique sur la cavorite, comme on pourrait en publier en ce début du XXè, tournures langagières et illustrations d’époque comprises !

Au final, une très grande fresque qui m’a collé une claque comme peu de livres l’avaient fait avant ! Et pour tout dire, j’ai même versé quelques larmes en le finissant !

Le facteur Pégase

Premier long texte ouvrant cette “Croisière Bleue”, hommage bien sûr au fameux Facteur Cheval et à son œuvre, c’est une mise en bouche assez savoureuse, aux atours de fable, mais que traverse déjà une certaine mélancolie, celle d’un rêve sur le point de s’achever. Poétique : dans cette version uchronique, le Facteur a bien sûr pour objectif de créer un temple fantastique capable de voler !

La croisière bleue

Un texte haletant et bien enlevé que cette novella donnant son titre au recueil ! Suivant les pas de deux agents secrets français voyageant à bord de l’Agénor, l’un de ces paquebots cavorifiés et tractés par des locomotives, le lecteur se retrouve embarqué dans une aventure empruntant au roman d’espionnage (évidemment) avec un fort goût d’enquête à la Hercule Poirot(*) ! Mais avec aussi un parfum de Michel Strogoff, la croisière au départ de Paris s’engageant, après un passage par Berlin, vers les steppes s’étendant entre Moscou et la Mongolie, celles qu’on parcourt à dos de cheval quand on n’a pas les moyens de voyager en bateau volant !

(*) Voilà, la faute aux vacances sans doute, j’ai eu le temps de regarder une énième rediffusion du film “Les vacances de…” avec P. Ustinov. Ça m’a conduit à surimprimer quelques images à la prose de Genefort.

Après quelques fausses pistes, agréables à suivre, le texte décolle avec un rebondissement, par ailleurs tout à fait cohérent avec cet univers, mais qui m’a vraiment pris par surprise. Du grand spectacle et de l’action ! Pourtant, loin de s’arrêter à sa nature de texte de divertissement et d’aventures, la fin de la “Croisière Bleue” s’engage sur le terrain de la géopolitique et des idéologies, deux domaines que la cavorite a bien entendu bouleversés. Mais pas pour longtemps, puisque s’en vient “le Krach de la cavorite”(*).

(*) Atome “radioactif”, le cavorium a en effet une demi-vie, et son efficacité va donc diminuant avec le temps. Le rapport des époux Curie, révélant que cette demi-vie a été en fait surestimée, et que toute la cavorite sera devenue inefficace avant un demi-siècle, provoque ainsi le Krach de 1923.

50 hectares sur Mars

Germain a tout abandonné derrière lui, la Terre, sa famille et sa fiancée, pour prendre possession de son terrain, qu’il espère pouvoir cultiver et faire fructifier, tel un valeureux pionnier des temps ultramodernes ! Un terrain qu’il a gagné à la loterie martienne car coloniser Mars, c’est une marque du progrès, et un symbole pour la France, grande puissance cavorurgique, mais c’est surtout une gageure. Dur de compter sur le volontariat de nouveaux colons, au vu des conditions difficiles qui y règnent : Mars est en effet un automne éternel. Ce texte, composé de plusieurs lettres écrites par Germain à sa famille, narre tout d’abord son voyage, assez fantastique à ses yeux(*), et sa déconvenue une fois parvenu sur ce monde où il est difficile de faire pousser une flore, importée, sous un soleil si rare que les habitants préfèrent se passer de rideaux à leurs fenêtres !

(*) Un paquebot spatial, c’est une ville ! On y assiste à des spectacles, des conférences, et on y croise aussi des célébrités en route pour Mars, en voyage d’agrément ou professionnel. Tel Thédore Monod, explorateur notable, auquel le destin d’aventurier de Germain n’aura rien à envier !

Voyant la région où il tente de s’établir subir de plus en plus fréquemment des inondations dantesques, dont l’origine reste inconnue et qui rendent l’agriculture presque impossible, Germain décide alors de se lancer dans un voyage vers le sud de Tharsis. Il doit bien en effet y avoir une explication à ces crues que la région ne connaissait pas au temps de l’établissement des premiers colons, et peut-être même pourrait-on trouver moyen d’y remédier ! Là encore, au terme de la route, Genefort remporte la palme du grandiose et de l’inattendu, avec une découverte tout aussi fantastique pour Germain que pour le lecteur ! Décrochage de mâchoire.

Le Sisyphe cosmique

Déliquescence du monde, désespoirs suscités par le “Krach de la cavorite” ; les puissances de l’Europe se déchirent, la ressource magique se tarissant. Impossible à coloniser, car trop chaude, Mercure dans cet univers est réputée abriter des sources gigantesques de cavorite n’attendant, parait-il, que les audacieux. On y suit donc un équipage réduit, affrété par un mystérieux (et sans doute sulfureux) armateur privé, dans son expédition vers cette planète pour tenter d’en ramener le rare et précieux métal. Histoire la plus courte du livre, son dénouement amer, comme son titre le laisse entendre, instillera pourtant quelques instants d’espoir bienvenus dans la dernière nouvelle.

À la poursuite de l’anticavorium

Théorisé par Einstein, l’anticavorium se devait d’exister si le cavorium lui-même existait, selon sa “théorie générale de la gravitation”(*). Mais quand en 1932, cette matière finit par se présenter à l’humanité, c’est loin d’être une bonne nouvelle, car c’est sous la forme sous la forme d’un astre errant, minuscule mais terriblement dense, repéré aux alentours d’un satellite de Jupiter ! Et sa trajectoire semble bien devoir croiser sous peu l’orbite de la Terre, provoquant ainsi une catastrophe que tout le monde s’accorde à déclarer définitive !

(*) Tous les détails quant à l’histoire des sciences de cette uchronie sont bien sûr à retrouver dans “L’abrégé de Cavorologie”.

Une équipe scientifique internationale, rassemblant les meilleurs esprits du monde, est donc mise sur pied dans l’urgence. L’équivalent spatial d’une vedette rapide, l’Omegar, est mis à leur disposition avec comme objectif de trouver le moyen d’arrêter la course destructrice de cet “astre obscur” !

Alternant les points de vue d’un quidam resté sur Terre, témoin de l’effroi qui saisit le monde, et celui de Marthe(*) l’une des scientifiques ayant embarqué sur l’Omégar, c’est un récit aux accents assez sombres. Mais qui reste néanmoins rempli de moments excitants, et de découvertes encore plus époustouflantes que celles évoquées par Germain dans ses lettres narrant ses aventures sur Mars ! Germain, finalement de retour sur son lopin de terre martien et dont une dernière lettre clôt, sur une note d’espoir, cette nouvelle incroyablement mélancolique.

(*) Un personnage fort, déjà rencontré dans “Les Temps ultramodernes”.

Au final… Ça va ? Je n’ai pas trop spoilé le livre ? Bon.

Une fresque historique et humaine, foisonnante d’idées, merveilleusement bien écrite et qui vous coupe le souffle : je m’attendais à ce que ce soit un bon livre, mais pas à ce point ! Je le recommanderai donc, sans réserve, aux gens qui ont aimé “Les Temps ultramodernes” et à ceux qui aiment lire pour réfléchir autant que s’évader. Laurent Genefort, avec cette “Croisière Bleue”, nous offre un miroir dans lequel contempler un reflet déformé de notre monde : ce que j’y ai vu m’a enchanté, mais m’a aussi rappelé la fragilité de l’humanité. Et c’est sur elle que j’ai versé les larmes dont je parlais dans mon introduction. Bref, lisez ce livre : vous méritez vous aussi de vous prendre une baffe !

Cette chronique a été réalisée dans le cadre d’un Service Presse pour Albin Michel Imaginaire.
Merci à Gilles Dumay pour sa confiance !


Fiche JKB

  • Genre : Uchronie/Aventures/Explorations/Fresque historique/Is this the End ?
  • Wow Level : 9/10. La révélation de la seconde nouvelle, “50 hectares sur Mars” : maille gawde ! Quant au diptyque “Le Sysyphe cosmique”/“À la poursuite de l’anticavorium”, on est dans le fabuleux qui appellerait à d’autres suites, mais qui décide juste de mettre une claque au lecteur.
  • Note personnelle : 9/10. J’avais mis un 8.5 en cours de lecture, mais en le finissant, j’ai du me corriger.
  • 350 pages. Vite lu. Mais en fait 250 pages lues en un week-end, si on ne compte pas “L’Abrégé de cavorologie”, à lire tranquillement ensuite.
  • Probabilité de relecture : 100%

Titre original :

La croisière bleue

2024

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Une réponse à “La croisière bleue”

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