Le Magicien quantique

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10 minutes

Par Derek Künsken

Je l’ai acheté deux fois, c’est dire…

C’est ma pire introduction, mais au moins on saura que j’avais envie de le lire ce livre-là ! “Prix des lecteurs 2022” ; chroniqué sur le Culte d’Apophis et aussi dans Bifrost. Des chroniques que j’avais survolées, convaincu dès leurs premières lignes que j’allais le commander un jour ou l’autre(*). Et il faut bien l’avouer, il ne m’a fallu que trois chapitres pour être sûr que j’allais en dire du bien ici. Alors, bien sûr, avec l’adjectif “quantique” dans le titre, il faut s’attendre à de la hard SF, celle qui puise sans gêne dans les découvertes scientifiques récentes pour alimenter la boîte à “Wow !”. Si vous êtes frileux en la matière, ne fuyez pas tout de suite ! Oui, il est vrai que dès le début, les potentiomètres sont poussés à fond : post-humains génétiquement améliorés pour res/sentir les probabilités quantiques des atomes les environnant ; humains modèle-réduits doublés de fanatiques religieux ; trous de vers reliant différentes planètes colonisées ; IA et sous-IA largement répandues, au point qu’on en retrouve même aux postes de surveillants de casinos ! Les premières pages pourraient donc paraître un peu ardues aux néophytes, mais passés les chapitres de mise en place de l’univers, on se retrouve face à une intrigue assez facile à suivre et à lire. Après tout, si on vous proposait une bonne histoire d’arnaque en plus d’un récit de SF ? Dans le genre du film l’Arnaque(**), justement : un plan presque impossible à mener à bien, une équipe de bras-cassés géniaux, des rebondissements, des mensonges, des trahisons et des retournements de situation. Une arnaque si alambiquée et tellement ambitieuse que seul un magicien pourrait la mener à bien.

(*) Et c’est parce que je suis un ahuri que je l’ai acheté deux fois : je l’ai effectivement commandé un jour, et aussi un autre !

(**) Les critiques compare le Magicien… à Ocean Eleven. Ayant réussi à ne jamais voir ce film et ses suite, je ne peux pas me prononcer ! Par contre j’ai toujours adoré revoir L’Arnaque avec Redford et Newman. It never gets old.

Contexte : Batards, Fantoches et Numens

Dans ce futur bien barré (XXVème siècle), se côtoient deux “empires” stellaires humains : des planètes, des cités et des habitats orbitaux connectés par des trous de vers. D’un côté, les “Banques Anglos-Espagnoles” dont la langue est… l’anglo-espagnol ! De l’autre la “Congrégation” qui rassemble sous la tutelle de Vénusiens “pur souche”(*) tout ce qui parle français (langue qu’on trouve en variantes 7.0, 8.1 ou 8.2, suivant l’origine ou le lieu). Au milieu de tout cela, quelques associations indépendantes, plus ou moins vassales des deux grands, comme la planète Oler, aux mains des “Fantoches”. C’est là que vit Belisarius Arjona, un homo quantus, notre arnaqueur magicien, aux capacités carrément surhumaines, comme tous ceux de son espèce.

(*) On dirait bien que la colonisation du système solaire ait débuté d’une manière assez surprenante, sans qu’on nous donne plus de détails. La suite de l’essor de l’humanité dans l’espace ne semble pas avoir évité les travers du nationalisme non plus.

Car dans cette société future déjà un petit peu “barrée”, se côtoient en effet des humains normaux, et ce que l’on nomme des espèces “post-humaines”. Outre le pack d’améliorations génétiques ayant engendré les homo quantus, il y a eu en effet par le passé d’autres manipulations du patrimoine humain, plus ou moins bienveillantes. Dans le cas des Bâtards, mi-humains mi-baleines, c’était pour les adapter à des conditions de vie extrêmes. Celles de leur planète-océan, une des premières colonies humaines, qu’ils ne peuvent d’ailleurs quitter que dans des caissons pressurisés. Leur physiologie a néanmoins eu l’avantage d’en faire des pilotes de vaisseaux recherchés. Mais tout le monde s’accorde pour dire que le résultat est esthétiquement… horrible. Même eux !

Pour les Numens et les Fantoches, le cas est bien différent. Les premiers ont décidé de créer les seconds pour en faire leurs adorateurs. Car outre le fait qu’ils aient créés avec comme attribut physique une taille grotesque (ils sont à l’échelle 2/3), les Fantoches ont également été rendus dépendants de phéromones spécifiques que les Numens se sont assurés d’être les seuls à produire. Oui, c’est cela, vous avez bien compris : une espèce d’humains miniatures adorant comme des dieux vivants d’autres humains(*), et prêts à tout pour leur sucer les orteils ou leur sniffer les aisselles. Et en bons fanatiques religieux, les Fantoches n’ont pas mis longtemps à pousser la logique un peu trop loin : les dieux incarnés se sont vus renversés, prisonniers sur leur planète, enfermés dans des temples, où ils n’ont pas tardé à dépérir(**), et quand démarre le récit, il ne reste que quelques milliers de Numens.

(*) Le rêve au-delà de l’eugénisme nazi. Vous avez le droit de vomir dans votre bouche.

(**) “- J’ai l’impression qu’on a eu une idée de merde…”
“- Tu dis ça parce qu’on peut plus voyager, ou parce que le petit, là, te ronge les ongles de pied ?”
“- Arrrgh !”

Arnaque aux douanes

La planète des Fantoches abrite un trou de vers “stable”, un nœud important, très fréquenté, dont le passage n’est pas gratuit. Tout le monde passe donc par leur planète par obligation, mais tout le mode les déteste et les méprise, les petits fanatiques pratiquant des droits de douanes parfois arbitraires. Et dans le cas de l’Union subsaharienne qui s’est pointée avec une flotte de vaisseaux de guerre à la technologie révolutionnaire(*), et qui désire traverser leur trou de vers sans attirer l’attention de la Congrégation, le tarif est carrément énorme ! “Pas moins de la moitié de la flotte de nos vaisseaux, voilà ce qu’il réclament, ces petits salopards !” C’est en ces termes que Iekanjika, Commandante de la 6ème flotte expéditionnaire de l’Union présente son problème à Belisarius : “Il parait qu’avec vos capacités, vous êtes quasiment un magicien, Bel. Pensez-vous arriver à faire passer notre flotte par le trou de vers au nez et à la barbe des douanes Fantoches ?” Et la réponse est oui, il pense pouvoir le faire(**). Grâce à son intelligence surhumaine et ses pouvoirs “quantiques”. Je ne vais pas vous résumer son plan, fait de tromperies à l’identité, de manipulations quantiques de trous de vers, d’explosions en cascade et de virus informatique, et qu’il vaut d’ailleurs mieux vivre de l’intérieur. Mais je peux tout de même vous présenter un peu l’équipe improbable qu’il rassemble.

(*) Révolutionnaire : qui avance plus vite, qui tire plus fort. Beaucoup. Et qui impressionne même Belisarius.

(**) Ça aurait fait une nouvelle assez courte, s’il avait répondu non…

Géniaux mais … des bras-cassés !

Recruté par Bel pour ses capacités informatiques hors-normes, St-Mathieu, la seule IA ayant jamais été reconnue comme véritablement consciente, par exemple, souffre d’un léger problème, celui de se croire la réincarnation de St-Mathieu ré-envoyé par Dieu prêcher sa parole. Génial, mais un peu déglingué donc, il accepte de rejoindre l’entreprise pour tenter de sauver l’âme de Bel ou de n’importe quel autre membre de l’équipe(*). Lors de la préparation de l’opération, ses discussions avec Marie, une ancienne des forces spéciales de la Congrégation, prête à tout faire exploser, tout le temps, sont l’occasion pour cette dernière de mettre sa foi en l’humain à l’épreuve, et pour le lecteur de sourire largement. Car quand je dis de Marie Phocas, spécialiste en explosifs, qu’elle est prête à tout faire exploser tout le temps, c’est que son métier est son hobby, et que son hobby est une sale manie : laissez la seule sans surveillance trop longtemps, et quelque chose va exploser. Pour faire face aux nombreux défis qu’entraînent son plan, Bel, notre escroc recrute aussi son amour de jeunesse, une homo quantus encore plus douée que lui ; son ancien mentor, simple humain mais outrageusement doué pour la tromperie ; un Fantoche en exil malgré lui ; le meilleur et le plus cher des pilotes Bâtards ; et un généticien de génie aussi, parce que, bon, le plan de Bel est vraiment alambiqué ! Le cocktail que représente cette équipe est donc des plus détonants, et Künsken sait faire de leurs dialogues haut en couleurs des moments satisfaisants pour le lecteur que je suis.

(*) OK, on va dire que St-Mathieu a, en fait, plus d’un problème : il est déglingué et très très naïf ! Personne n’a la moindre envie de se laisser convertir pour sauver son âme en discutant avec lui.

Sans accroc, le plan…

De la phase du recrutement de l’équipe, à celle du lancement de l’opération, en passant par sa préparation, on peut sans peine dire que Künsken maîtrise son histoire, comme Belisarius maîtrise l’exécution de son plan. Même si, évidemment, quelques petits détails se montrent moins accommodants que prévu, comme, par exemple, cet agent de la Congrégation, sorte de cyborg tout droit sorti d’un cauchemar, chargé de la surveillance d’Oler et qui finit par s’intéresser de trop près à certaines coïncidences. Pourtant, notre magicien ne semble pas une seconde douter de son succès, semblant même avoir un plan dans son plan. C’est donc la mâchoire pendante parfois barrée d’un sourire béat qu’on le suit dans sa brillante arnaque, épaté et étonné, jusqu’à une fin impressionnante, tant par la qualité des effets spéciaux(*) que pour la vraie raison qui a poussé Belisarius à s’engager dans un arnaque aussi dingue !

(*) Rappelez-vous : la flotte de guerre de l’Union a une technologie révolutionnaire…

Accrochez-vous et profitez !

Oui, le livre compte pas loin de cinq cent pages. Oui, il y a parfois de petits détails scientifiques pas faciles à suivre(*)… Mais les personnages, l’univers, l’intrigue : tout est nickel ! Je ne le classerai donc pas dans la genre “abordable”, et je recommande même de le lire d’une seule traite pendant vos vacances ! Il arrive que des livres de SF se singularisent par leurs seules idées novatrices, mais il arrive aussi que des livres aient surtout une intrigue prenante, intéressante. Le magicien quantique est l’un de ces livre qu’on peut recommander autant pour l’une ou l’autre raison ! Et donc, même s’il n’est pas d’un abord facile pour tous, je ne peux que vous exhorter à vous jeter dessus !

(*) Truc : à chaque fois que les concepts scientifiques semblent trop ardus, se dire “Bah, c’est comme de la magie dans la littérature fantastique !” Après tout, la magie, ça fonctionne, même si ça n’a pas beaucoup de sens !


Fiche JKB

  • Genre : Arnaque dans l’espace – Futur proche mais décoiffant !
  • Wow Level : 9/10. Des idées comme s’il en pleuvait !
  • Note personnelle : 8/10. Excellent moment. Recommandé à fond !
  • Presque 500 pages. Mais se lit sans peine, le rythme est bon !
  • Probabilité de relecture : Très forte. J’attends surtout de lire la suite.

Titre original :

The Quantic Magician

2020

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