Le premier livre d’une série par Gilberto Villaroel
Il faut avoir un sacré grain pour mêler à la fois les batailles navales napoléoniennes, Cthulhu et…. Fort Boyard ! Ou alors être chilien et totalement décomplexé. Et il faut être sacrément doué pour en faire un livre de 400 pages qui ne m’a pas résisté plus d’un week-end, tout en me faisant sourire béatement toutes les 10 pages. Une fois n’est pas coutume, il s’agit donc bien d’un hommage à HPL, dont je suis un fan plus qu’inconditionnel, et ainsi que toutes les critiques que j’avais lues avant l’indiquaient : c’est très très bien. Sans compter qu’à l’issue de ce livre, on s’aperçoit que ledit Lord Cochrane du titre est un personnage bien réel et au destin plus qu’étonnant : héros national Chilien pour sa contribution à l’indépendance du pays ; héros national brésilien aussi, pour la même raison ; inventeur de génie ; stratège et tacticien hors-pair et connu aux alentours de la baie qui abrite Fort Boyard pour avoir à lui tout seul mis le feu à toute une flotte de bateaux, alors aux ordres de Napoléon. Spoiler : ce n’est donc pas Cthulhu qui allait lui faire peur.
Je suis un dieu venant du cosmos lointain, et maintenu prisonnier sous la mer.… je suis… je suis…(*)
(*) Là, j’ai voulu faire un clin d’œil au Père Fouras de l’émission Fort Boyard… Raté ! Au final, ce sera un clin d’œil à Julien Lepers !
Le capitaine Eonet, fidèle d’entre les fidèles de l’empereur, se voit confier par le ministre de Napoléon, Fouché, la garde du fameux fort. Avec des instructions secrètes et déroutantes : ne rien dire de la statuette étrange qui a été retrouvée sur le banc de sable sur lequel le fort fut érigé ; ne pas mentionner ce morceau de rocher couvert de symboles inconnus et toujours préservé dans un endroit secret du fort ; et ne pas révéler l’identité des deux scientifiques en route depuis Paris pour le fort et qui ne tarderont pas à arriver pour étudier ces deux artefacts mystérieux. Spoiler : ils sont plus que connus, puisqu’il s’agit en effet des frères Champollion, spécialistes en langues antiques, protégés de l’empereur, que l’auteur s’est permis d’inviter à sa petite fête. Mais la chaloupe qui se présente à quai en premier n’est pas la leur. D’ailleurs, personne n’attendait ici que débarque Lord Cochrane(*)…
(*) sauf le lecteur, hein…
“Alors en fait, je suis là par hasard…”
Immédiatement placé aux arrêts avec son petit équipage, voici la seule explication que ledit Cochrane consent à donner au capitaine français : “Je ne suis pas en mission pour la couronne anglaise, et je ne suis pas venu vous espionner. Mon navire est juste en panne pas loin, et nous ne sommes arrivés jusqu’au fort que par le plus grand hasard.” Inutile de dire que le capitaine Eonet, connaissant de réputation ce Lord et ses péripéties passées dans cette baie ne le croit pas une seule seconde : c’est un espion, un éclaireur de la perfide Albion et il faudrait de suite localiser ledit bateau en panne, avant que des renseignements sur le fort puissent parvenir à Londres. Le capitaine envoie donc une chaloupe d’hommes armés à la recherche du fameux bateau, pendant qu’entre officiers gentlemen, lui et Cochrane taillent le bout de gras. Mais c’est la nuit, le brouillard s’épaissit et ça commence à sentir un peu le poisson pourri… lorsque la chaloupe revient enfin à la dérive quelques heures plus tard, elle est vide… ou presque : quelques litres de sang et un morceau de bras déchiqueté encore accroché au bastingage témoignent d’une rencontre peu amicale.
L’inquiétude gagne alors aussi bien les soldats français que Cochrane et ses équipiers, et lorsqu’enfin débarquent les frères Champollion, le lecteur sait que presque tout est en place : de “drôles” de choses sortent de l’eau, tentent d’attaquer le fort, sont repoussées par les efforts conjugués de Cochrane et du Capitaine Eonet, et… au loin, les flots remuent bizarrement, le sol du fort gronde comme si sous la mer quelque chose d’énorme remuait. Tout le monde alors ressent l’urgence qu’il y a à comprendre ce qui se passe, et on hésite pas à pousser les Champollion à se mettre au boulot sans délai. Qui sait ? Peut-être pourrait-on tirer de ces inscriptions mystérieuses une explication rassurante à tous ces événements pour le moins inquiétants. Ou pas…
Tentacules et ailes de chauve-souris
Pour les deux frères, c’est une tâche bien malaisée à réaliser tandis que le ciel s’assombrit, que se lève un brouillard méphitique et que le fort se retrouve attaqué, tant par la mer que par les airs, par des êtres de cauchemars qui semblent trouver la chair humaine à leur goût (*). Et encore bien plus, lorsqu’à quelques miles du fort, émerge de la mer ce qui ressemble à une île. On a alors même plus vraiment besoin des Champollion, en tant que lecteur, pour finir la traduction des premiers symboles : “…même la mort peut mourir…” et tant pis si l’océan Pacifique se trouve de l’autre côté du globe, et tant pis aussi si les habitants du coin n’ont pas un faciès difformes les faisant ressembler à des poissons, c’est bien dans cette baie française qu’il se lève, le Grand Ancien.
(*) Oui, par les airs aussi ! Enfin un auteur qui innove avec les minions de Cthulhu !
Action !
Gilberto Villaroel a débuté en tant qu’auteur de bandes dessinées(*), et on ne peut que lui reconnaitre un talent fou dans les descriptions audacieuses qui rythment à partir de là l’action du livre. De l’expédition de reconnaissance que Cochrane, le Capitaine du fort et les Champollion s’obligent à mener, découvrant ainsi qu’il ne s’agit pas tout à fait d’une île, aux exploits hors-normes de Cochrane, toujours héroïque, même lorsque tout semble désespéré, c’est un régal à lire ! Ainsi qu’il le confie, l’auteur a voulu faire de ce livre un remix de l’œuvre la plus emblématique de HPL(**), y rajoutant des éléments que le solitaire de Providence n’aurait sans doute jamais osé envisager. Et bien qu’un ou deux passages m’aient paru un poil gonflés, le challenge est relevé, le cocktail fonctionne.
(*) Et en adaptant, déjà, du Lovecraft.
(**) L’appel de Cthulhu. Que vous avez lu, bien sûr. Ou que vous lirez, avant ou après ce livre.
Certains puristes regretteront peut-être qu’il y manque ce petit zeste de terreur, celui qui empêche le lecteur de glisser dans un sommeil serein après la lecture d’un texte rattaché au “mythe”. Mais pour ma part, j’ai apprécié sans vergogne le côté actionner du récit, qui comble agréablement ce manque ! Sans oublier qu’à lui seul, le personnage de Cochrane rend le tout palpitant, tant le personnage se révèle naturellement être le héros dont le récit a besoin. Les notes historiques le concernant, placées en annexe, sont d’ailleurs une vraie source d’émerveillement : des personnages historiques comme lui, avec un tel parcours, il y en a peu ! Pas étonnant du coup, qu’à la fin l’auteur nous promette son retour dans un prochain roman. Car, certes, nous le savons, Cthulhu est grand et terrible, mais au final pas assez pour se débarrasser de Cochrane !
Fiche JKB
Titre original :
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