Le Monde de Satan – La Hanse Galactique T. 4

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11 minutes

Une série et son tome 4, par Poul Anderson

J’ai entamé cette série (*) il y a déjà un certain temps, et jusqu’ici il s’agissait de recueils de textes plutôt courts (de deux à trois textes par tome, si ma mémoire ne défaille pas en ce samedi matin). “Le Monde de Satan” comporte lui aussi deux textes, mais le premier est de la longueur d’un roman, et le second est une chtite nouvelle. Le tout s’inscrit dans ce “cycle du futur” (La Hanse Galactique) totalement irrévérencieux, aussi parodique que scientifiquement docte (**), mettant en scène une équipe d’aventuriers-marchands, évoluant dans une société interstellaire, pleine de mondes et d’êtres étranges.

(*) Oui, encore une série sur ce blog ! Du coup, ça sera plus long que d’habitude à cause de l’introduction de la série ! Vous pouvez sauter tout le blabla en utilisant le lien qui mène à la fiche. En-dessous de la seconde note.

(**) Anderson donne des cours de physique et d’astronomie dans ses livres de SF, il faut s’y faire. Mais ça ne signifie pas qu’il faut que ça soit ennuyeux.

La Hanse et ses héros…

Le cycle de la Hanse Galactique se déroule au XXIII ème siècle, mais la “Hanse” historique, dite aussi “Ligue Hanséatique “, exista, elle, entre le XII ème et le XVII ème siècle. Allez vite voir la page Wikipedia décrivant cette association de cités-marchandes de la Mer Baltique, si vous le voulez. Mais en résumé, on dira qu’il s’agissait d’une alliance entre armateurs, traçant des voies marchandes sur les mers du nord et s’encombrant peu des bonnes manières. Cette Hanse historique, outrancièrement capitaliste, Anderson en résume l’esprit peu ou prou ainsi : “Devenir riche, c’est pouvoir faire des affaires ; pour faire des affaires, il faut de nouveaux marchés ; pour trouver de nouveaux marchés, il faut des explorateurs ; et si on laissait les institutions qui nous taxent en dehors de tout ça, on irait plus vite et ça rapporterait encore plus !” Retranscrit dans un futur de SF, c’est un canevas idéal qu’Anderson s’est ainsi offert. Une manière futée d’illustrer et aussi de critiquer un certain “libéralisme”, économique et politique (*), ayant des bons et des mauvais côtés (tout dépend de quel côté on se trouve…). Et un prétexte pour envoyer des héros à l’aventure !

(*) Attention : le libéralisme pour un américain, comme Anderson, c’est la liberté personnelle et celle d’entreprendre. La liberté de pigeonner et de se faire pigeonner aussi.

En guise de héros à suivre, le cycle nous propose une équipe de choc, dans les canon de la SF de type space-opera / pulp (vaisseaux intersidéraux, aliens, pistolets-lasers et héros aux dents trop parfaites). Blond et trop parfait, c’est d’ailleurs le pilote de vaisseaux spatiaux, le pimpant David Falkayn, humain originaire d’une colonie terrienne un peu archaïque. Le ventripotent patron de l’équipe (ou plutôt de la riche entreprise, dite “La Compagnie solaire des épices et liqueurs”), Nicholas Van Rijn, humain et terrien raffiné (mais qui sait parler vulgairement), est un marchand-né, un menteur patenté et un fin psychologue. Voilà pour l’archétype du héros audacieux et chevaleresque et pour celui de l’entrepreneur roublard, tous deux présents depuis les deux premiers tomes.

Les deux autres héros viennent de loin, mais sont néanmoins assez communs dans cette société stellaire du futur composée d’humains et de sophontes (*), Le Commonwealth, dans laquelle recrute parfois La Compagnie. Adzel qui vient d’une planète hyper-massive et qui étoffe l’équipe depuis le tome 2, a l’apparence d’un immense crocodile-centaure, un Wodunite (**), avec les quelques centaines de kilos de muscles et la mâchoire garnies de crocs qui vont avec. C’est bien sûr un atout de poids lors des échauffourées que l’équipe ne manque de rencontrer, mais c’est pourtant le pacifique de l’équipe, bouddhiste à l’époque de ce tome 4. Tout le contraire de la petite Chee-Lan, une Cynthienne d’Eridani, une humanoïde aux airs de mignon félin, qui est l’impulsive et irritable quatrième membre du groupe depuis le tome 3. Une vraie petite teigne futée qui ne manque jamais de lâcher des commentaires sarcastiques et grinçants sur ses compagnons et sur leurs péripéties.

(* ) Directement traduit de l’anglais “Sophontes”, terme d’origine grecque, est une bonne alternative au terme “alien pensant”. “Capable de sagesse”. Merci aux traducteurs !

(**) Jeu de mot english sur le terme whodunnit, qualifiant certains polars à énigmes (littéralement : “Qui l’a fait ?”).

Principe et contexte global

Il s’agit de SF à gros effets spéciaux et Poul, s’appuyant sur toutes les possibilités scientifiques en matière de planétologie délirante, n’hésite pas à nous planter des décors hauts en couleur dans lesquels évoluent des aliens aux aspect et aux mœurs souvent déroutants. Même pour son équipe prête à toute les missions (pourvu qu’elles rapportent) et habituée aux franges le plus lointaines et dangereuses de la galaxie !

Le principe récurrent de leurs aventures, plus ou moins, consiste à les voir catapultés, seuls ou en équipe, dans des situations qu’on qualifiera de “difficiles”, sur des planètes tout juste découvertes, livrés à eux-mêmes (*). Des situations difficiles rendues presque toujours plus compliquées encore par des autochtones aliens qui, sans être franchement belliqueux, se montrent rarement coopératifs. Peu coopératifs, ou impossibles à comprendre, ces aliens, Anderson les crée pour qu’ils apparaissent aussi bizarres et étrangers que possible, tant aux yeux du lecteur qu’à ceux de ses héros.

(*) Normal pour des explorateurs, c’est l’un des aléas du métier.

Comment communiquer, et donc faire des affaires, quand un monde, ses habitants et leurs mœurs vous sont si étrangers ? Les réponse à cette question (de survie parfois), les protagonistes finissent par les trouver, une fois réalisés les liens entre les divers détails de ces mondes étrangers : telle planète et son étoile à l’astrophysique particulière ont engendré telle espèce pensante et sa curieuse façon de voir les choses. Et une fois leurs points de vue compris, les aliens en deviennent moins déroutants pour nos aventuriers. Pareil pour les relations avec eux, qui d’impossibles ou de conflictuelles, peuvent enfin devenir commerciales ! Chaque aventure trouve ainsi son dénouement dans la résolution, jouissive pour le lecteur, d’une énigme astronomique, sociologique ou psychologique.

Le Monde de Satan

Ouvrant le tome 4 et lui donnant son nom, la novella Le Monde de Satan parle bien d’un monde, inhabité cette fois, ce qui est normal au vu de ses particularités, tant il est difficile de faire plus inhospitalier (à part l’Enfer, bien entendu !). Imaginez une planète dite errante (*), ayant voyagé entre les étoiles pendant des millions d’années, jusqu’à ce qu’elle se fasse finalement capturer un jour par la gravité d’une “géante bleue”. Ce type d’étoiles, 8 à 20 fois plus massives que notre soleil, rendent leurs parages en général invivables, et Beta Crucis (**), l’étoile qui a happé ce monde de Satan, est du genre “en forme”. Une coïncidence astronomique assez rare donc et réussir à localiser ce monde est une vraie gageure. Mais mieux encore : bien qu’inhabitable, et surtout pour cette raison, ce monde est un candidat parfait pour un projet de taille, sa transformation en une gigantesque mine à métaux lourds, rares, etc… Vendre des concessions pour son exploitation pourrait donc représenter une source de profit énorme, même selon les critères de La Compagnie solaire des épices et liqueurs !

(*) C’est un fait astronomique statistiquement établi, même si jamais observé : il existe des planètes ayant été arrachées à leurs systèmes d’origine à l’occasion d’accidents astronomiques.

(**) Elle existe. Dans la constellation de la Croix-du-Sud. Allez, encore des liens : Beta Crucis (nommée aussi Mimosa) sur laquelle Anderson ne pouvait en savoir autant à l’époque. Et les Géantes bleues.

Mais comment la Compagnie se retrouve-t-elle à être la première sur le filon ? Comment Falkayn, Adzel et Chee, missionnés par Von Rijn, sont-ils mis sur cette piste ? De quelle manière trouve-t-on une planète aussi rentable là où elle ne devrait pas se trouver ? De sujet principal du récit, le Monde de Satan, la planète en question, passe au second plan, Poul Anderson introduisant un nouveau facteur dans son cycle et son univers, toujours sous forme d’énigme. Tout d’abord de manière anodine, avec une entreprise Terrienne spécialisée dans le renseignement scientifico-commercial, qui possède des IAs capables d’incroyables analyses, comme celle justement à l’origine de la mission, “Serendipity Inc.”. Puis de manière plus dramatique, en révélant que Serendipity est loin d’être une entreprise terrienne, ni même originaire du Commonwealth, et veut en fait s’emparer du Monde de Satan pour ses propres intérêts et ses vrais “dirigeants”. Ce que l’équipe de la Compagnie apprend brusquement lorsque les représentants humains de Serendipity, n’ayant qu’une idée vague de la localisation du Monde, décide d’enlever David Falkayn, qui en détient les coordonnées exactes. C’est là, comme le dit le 4ème de couverture, que tout le reste de l’équipe, même Van Rijn (*), se lance alors à leur poursuite, certes pour sauver leur compagnon, mais aussi peut-être pour sauver le Commonwealth d’une menace terrible ! Et aussi, parce que, bon, le Monde de Satan, et surtout l’argent qu’il représente doit tomber dans l’escarcelle de la Compagnie, et pas dans celle d’un autre, tudieu ! Pour Van Rijn, les affaires sont les affaires !

(*) Souvent, lors des aventures précédentes, et de plus en plus au fil du cycle, le boss se contentait de rester aux différents sièges de la Compagnie, à gérer les “contingences”, vider des choppes de bières et pincer des fesses !

Pareil mais différent

Comme d’habitude, la suite de l’histoire est composée d’aventures épiques, de rencontres avec de nouveaux “sophontes” et l’occasion de quelques démonstrations scientifiques, comme c’est le propre du cycle. Mais ce texte, en plus d’être plus long que ses prédécesseurs, se fait plus mature dans le dénouement de son intrigue, plus mi-figue mi-raisin que d’habitude pour nos héros. Pour le lecteur, au-delà d’une conclusion couronnant un succès tout relatif, ce sera surtout la découverte de la vraie nature des maîtres de Serendipity, les Sheenas, et l’évolution de leur monde d’origine qui seront les vraies récompenses de cette lecture. Digne représentante du cycle, la novella offre en effet une résolution d’énigme en rapport avec les sciences dites dures, et aussi moins dures, avec cette fois un point de vue assez sombre et vertigineux sur l’Histoire avec grand H. Laquelle ne va pas toujours dans le sens d’un “mieux” ou d’un quelconque progrès ; on sent qu’Anderson a eu à cœur de le rappeler.

Bref, un livre que vous devez déjà être à moitié convaincus de lire, pour m’avoir suivi jusqu’ici dans cette très looooooongue fiche ! Avant d’entamer Le Monde de Satan pourtant, je vous recommande de consacrer quelques temps à la découverte de quelques nouvelles (ou toutes) des tomes précédents, au rythme plus rapide et au ton nettement plus léger que celui-ci. La courte nouvelle le closant, “L’Étoile guide”, donne d’ailleurs l’impression que les aventures de la Compagnie quittent avec ce tome les domaines de la désinvolture et du succès facile. Le prochain et dernier tome se nommera d’ailleurs “Le Crépuscule de la Hanse”. Sûrement chroniqué ici dans quelques mois.


Fiche JKB

  • Genre : Space-Opéra parodique et énigmes scientifiques.
  • Wow Level : 7/10. Plein de bonnes idées.
  • Note personnelle : 7/10. En avance pour les années 60 !
  • En général, des nouvelles courtes et vite lues. La novella de ce tome 4 m’a parut du coup plus laborieuse à finir.
  • Probabilité de relecture : Bonne. Moyenne, mais bonne.
  • Fiche du cycle la Hanse Galactique, sur Noosfere
  • Fiche du tome 4, sur Noosfere, avec une critique de 1971 : le critique n’aime pas… Anderson, en fait ! Trop à droite pour lui !
  • Critique du tome 4 sur Le Culte d’Apophis (qui a aimé)

Titre original :

Satan’s World

1968

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