Par Jean Baret & Ugo Bellagamba
J’ai bien aimé certains des titres de Ugo Bellagamba que j’ai lus, tel l’excellent “Origine des Victoires” (que j’ai recommandé à plein de mes amies). Ayant noté, grâce à un post de son éditeur sur les réseaux, la sortie prochaine d’un nouveau guide signé de sa main (dédié à l’utopie dans la SF), j’ai eu la bonne idée de l’interpeller pour lui réclamer un nouveau roman, plutôt qu’un guide ! Le fan un peu simplet, quoi ! Car en matière de nouveau roman, me répondit-il le lendemain, je n’avais qu’à lire “Le Monde de Julia” qui venait de paraître (un fait que je n’avais pas noté du tout… simplet !). Battant ma coulpe, je me décidai à commander sans plus attendre ce livre, écrit à quatre mains, à mi-chemin entre le conte philosophique et le récit post-apocalyptique, dans lequel l’auteur me promettait aussi mon content de pop-culture !
“La première règle du Fight Club…”
Donc : un récit post-apocalyptique, mais presque fun ! Car dans ce monde d’après l’apocalypse / le cataclysme / le Jackpot(*), les grandes et les petites tribus, qui rassemblent les survivants, tentent toutes de vivre en société selon des lois et des règles s’inspirant de films, de livres, de bandes dessinées ou de jeux-vidéos. Des bribes de notre présent, souvent les plus futiles, sur lesquelles ils ont pu mettre la main plus ou moins par hasard et qu’ils ont adoptées comme mode d’emploi pour vivre ensemble.
(*) “Jackpot” : nom donné à l’effondrement civilisationnel et climatique (celui qui débute maintenant et que nous vivons en live) par William Gibson dans son excellente série Périphérique/Agency.
Ainsi dès les premières pages, on croise un membre du Fight Club, un groupe tentant de (sur)vivre en appliquant les règles originelles du film/livre (mais qui n’a pas hésité à en rajouter cinq de plus !) avec la réussite que l’on devine, à savoir nulle ! Ce qu’on appelle un “échec critique” dans le jargon des rôlistes ! Et c’est d’ailleurs le cas pour presque chacune de ces tribus qu’on rencontrera : aucune ne comprend vraiment les règles (absurdes vu le contexte) auxquelles elle se plie, et la plupart est visiblement vouée à disparaître pour cette raison, éradiquée ou absorbée par une autre. Oui, c’est tragique !
“Il était une fois… La Liberté…”
Mais le “Le Monde de Julia” est aussi un conte. Initiatique. Philosophique. Un chapitre sur deux du livre est ainsi consacré à la vie de Julia, une jeune fille que ses parents ont conduite à l’écart de tout, dans une bâtisse sise au sommet d’une montagne. Et qui s’en sont repartis, il y a longtemps, après l’avoir confiée en garde à Roland-17, le gentil robot-nounou de la famille. Depuis, le temps passe sans qu’ils ne donnent de nouvelles, Roland faisant à la fois office de professeur et de protecteur, tel le chevalier dont il porte le nom. Et ce n’est pas rien que de faire le professeur, quand on est en charge d’une petite fille de neuf ans, dont l’énergie et l’imagination n’ont pas de limites !
Julia converse ainsi avec des personnages, dont elle seule voit les profils dans les reliefs des montagnes, et dans les courbes des chutes d’eaux, aux alentours(*). Des personnages qu’elle immortalise aussi dans son carnet de dessins, lors de ballades que lui autorise Roland autour de l’Observatoire où ils vivent. Mais c’est parce qu’elle consent aussi, en retour, à apprendre ses leçons, sous la direction de son fidèle instructeur : la mythologie grecque, pas plus que l’astronomie d’ailleurs, n’ont ainsi le moindre secret pour elle ! Et en ce qui concerne les bases de la philosophie, la petite n’est non plus pas en reste : la Justice, la Liberté… Il faut de tout pour combattre l’ennui, quand on est seule là-haut, avec comme seul compagnon un robot…
(*) Cette trame narrative, celle de Julia, est terriblement bien écrite : poétique, onirique en même temps que très érudite !
“Sinon, c’est l’anarchie !”
De toutes les tribus tentant de reconstruire le monde, du moins celles réunies autour de la Mégapole, celle du Lab a tout du candidat qui pourrait réussir là ou les autres ont échoué : rebâtir une société viable, et lui trouver de “bonnes règles” ! Peut-être, et sans doute, car ses membres, qui vivent enterrés dans un laboratoire loin sous la terre, sont tous des descendants de scientifiques et de chercheurs s’y étant réfugiés au début du cataclysme. C’est par les yeux de l’un des membres du Lab, Darius, que le duo d’auteurs nous emmènera visiter les autres communautés : la tribu Brasil , ou celle des THX 1138(*), entre autres exemples.
(*) THX-1138 : un film qu’à ma grande honte je n’ai jamais eu l’envie de regarder, même s’il parait que c’est de la bonne SF… Brasil : l’hommage au film de fous du génial Terry Gilliam se double d’un hommage à Gosciny et à sa “maison de fous” que traverse une fois son héros, Astérix !
Ces expéditions pour le moins dangereuses, traversant divers territoires dominés par tel ou tel groupe, sont l’occasion pour Darius de digressions, plutôt pointues, sur les raisons qui poussent les communautés humaines à se choisir des règles. Et c’est sans doute là qu’il faut prévenir le lecteur qui voudrait s’essayer à ce livre : les parties concernant les expéditions de Darius, bien que flirtant avec des références légères, tiennent tout autant du conte que celles dédiées à Julia ! Un conte aux échos de plus en plus philosophiques et juridiques. Et quand je dis de ces digressions qu’elle sont pointues, c’est qu’elles le sont bel et bien ! Et elles ne se simplifient pas à mesure qu’avance l’intrigue : même à propos de la tribu des Fallout(*) les concepts maniés par les protagonistes/les auteurs pourront être ardus à suivre pour qui n’avait pas plus d’intérêt que ça pour les cours dits “de philo” ou ceux de “culture politique”.
(*) Yep, the games ! Dont l’univers post-apocalyptique propose lui aussi des variations plus qu’intéressantes sur le thème “micro-sociétés aux règles de dingues” !
Expérience risquée… touchante, mais risquée…
Les deux lignes narratives ne sont évidemment pas étrangères l’une à l’autre, comme on pouvait s’en douter, et le lecteur finira par le découvrir dans un final assez convenu(*) (ce qui est bien normal pour un conte). Après l’extinction de Roland pour cause de batteries à plat, Julia s’en ira bravement affronter le monde et ses dangers, en continuant son parcours dans le monde des pensées. Rencontrant tout d’abord un oiseau qu’elle choisira de suivre un temps, après l’avoir baptisé Liberté, on la suivra ensuite allant de rencontre en rencontre, croisant même le fantôme d’un grand penseur français (entre autres).
(*) Attention, je dis ça, mais… Je l’ai quand même pris assez au premier degré (quand je le pouvais) ce conte. Ce qui signifie que j’omets de dire que cette fin convenue m’a en fait tiré quelques larmes… Ben ouais…
Quant à Darius, revenu de ses expéditions, il les abandonnera pour se consacrer finalement à son grand projet au sein du Lab, une mystérieuse “expérience 45”. Et c’est avec son frère Artaban, dont les discours pédagogiques seront du même style que ceux de son aîné, que le lecteur s’en retournera parcourir les abords de l’anonyme Mégapole, pour une mission traversant cette fois, entre autres, le territoire des trente Morlocks, ainsi que celui de la tribu des Mempo 2033(*).
(*) Si pour les premiers la référence à H.G. Wells est évidente, les seconds font je crois référence aux jeux inspirés des romans de Dmitry Glukhovsky… mais mixés avec un autre truc que je n’identifie toujours pas… Oui, l’étendue de ma sous-culture a ses limites !
Au final…
C’est un conte, donc c’est fait pour tout le monde, ai-je envie d’écrire. Mais. Certaines parties de ce livre m’ont tout de même poussé à m’enquiller pas mal de pages de wikipedia (in english) : Hobbes, Locke et Condorcet m’ont certes été familiers à une époque, mais elle est loin cette époque ! Bref, on est ici dans un texte à l’érudition remarquable(*) qu’un lecteur patient, et prêt à réfléchir un peu, appréciera sans nul doute. La trame “conte”, qui s’attache aux aventures empruntes d’un imaginaire poétique de la petite Julia, peut parfois contrebalancer cette impression d’une lecture très didactique, mais elle requiert, à mon avis, tout autant d’attention que les discussions de Darius et d’Artaban. Pareil pour les moments où on s’intéressera aux différentes tribus et à leurs règlements absurdes : elles demanderont aux lecteurs d’avoir une bonne connaissance de ce qu’on nomme la pop-culture, et elles pourraient donc conduire elles aussi à quelques recherches plus ou moins intenses sur le web.
(*) Bellagamba est un spécialiste de l’histoire du Droit. Jean Baret, en plus d’être écrivain, est pour sa part avocat !
Reste un dénouement que j’ai tout de même trouvé magistral(*), et dont j’ai dit plus haut qu’il m’avait tiré une ou deux larmes. Un livre qui est une belle et longue ballade dans le monde des idées, une vraie leçon sur les bases du Droit et une quête pour tenter de définir la Justice. C’est aussi le rêve d’un auteur, Ugo Bellagamba qui avait à cœur l’écriture de ce conte philosophique et qui n’aurait pu l’écrire sans son co-auteur, Jean Baret. “Le Monde de Julia” est donc, à plus d’un titre, un OVNI littéraire, qui n’est pas ce que j’ai l’habitude de rechercher en matière de lecture, et qui vous plaira ou pas : à vous de voir !
(*) Au contraire d’un épilogue qui m’est un peu passé à côté : trop érudit pour moi ! Voici tout de même ce que j’ai trouvé sur les deux frères : ici et là mais ça ne m’avance pas beaucoup…
Fiche JKB
Titre original :
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2 réponses à “Le monde de Julia”
C’est vrai qu’ils brassent beaucoup de concepts et de références, mais même si on passe à côté de certaines, ce n’est pas grave. L’essentiel est de se sentir bien dans cette histoire.
Merci pour cette belle critique.
Merci.
Je note qu’on a apprécié pareillement la fin, qu’on a vue venir pareillement.