Par Alastair Reynolds
Reynolds est encensé par les blogueurs dont je lis et suis les recommandations. Jusqu’ici pourtant, ma seule rencontre avec cet auteur de Hard-SF ne m’avait vraiment pas emballé. J’avais trouvé ça verbeux, long et très compliqué ; ça ne m’avait pas passionné plus que ça(*). Suite à la lecture du récent numéro (110) de Bifrost consacré à cet auteur, je me suis convaincu qu’il fallait pourtant que je m’y remette. La sortie de ce roman, plutôt court par rapport aux normes de cet écrivain prolifique, m’a donc semblé être la bonne occasion de le faire.
(*) Il s’agissait de “L’espace de la révélation”. Presque unanimement considéré comme génial.
Le résumé au dos du livre promettant de mêler, en une seule intrigue, récits d’explorations maritimes du XIXe siècle et aventures spatiales du XXIe, mes attentes au moment d’entamer ce roman étaient donc plutôt élevées. À mille lieues d’être déçu, j’ai refermé ce livre satisfait d’avoir lu une petite perle du genre ! Narrées par Silas Coades, chirurgien de bord de son état, les péripéties de l’équipage du Déméter, vaisseau à la recherche d’un chemin menant vers un énigmatique et mystérieux “Édifice”, tiennent en effet toutes leurs promesses, et même plus ! Périls sur les mers et dangers de l’espace sont bien au rendez-vous, dans un cocktail que j’ai trouvé aussi étonnant qu’émouvant !
Groundhog day (un jour sans fin)
Deux définitions rapides, et utiles j’espère, pour aller vite :
Éversion : en français, un renversement. En anglais, ou plutôt comme Reynolds veut l’entendre, ce terme est plutôt mathématique/géométrique, du genre “qui fait mal à la tête” quand tu y réfléchis trop longtemps(*). Mais pour résumer, prenez un gant de toilette, retournez-le de l’intérieur vers l’extérieur, et vous aurez accompli l’éversion d’un truc ! Comme une inversion en quelque sorte, mais tridimensionnelle. Bon, arrêtez d’y réfléchir, et dites-vous que c’est d’une importance bien moindre que ça en a l’air pour comprendre l’intrigue !
(*) Surtout quand on t’explique que ça peut s’appliquer aux sphères…
“Groundhog day” : en anglais, la date du 2 février, et, par extension, une journée à la routinière répétitivité, au point qu’elle en parait “sans fin”. D’où le titre en VF de ce film(*) où un homme revit encore et toujours la même journée, chaque jour. Et là, par contre, il y a effectivement quelque chose à en retenir pour aborder sans trop d’incompréhension le premier rebondissement de l’histoire racontée par notre sympathique chirurgien, Silas. Un rebondissement auquel il faudra pourtant bien s’habituer, puisqu’il sera amené à se répéter : la mort du narrateur ! Un passage de vie à trépas se produisant à chaque fois que le Déméter semblera s’approcher un peu plus de la bonne voie, un passage mystérieux entre deux falaises maritimes, menant au fameux “Édifice”.
(*) “Groundhog day”, “Un jour sans fin”, avec Bill Murray. On peut aussi citer comme autre référence cinématographique : “Edge of Tomorrow”.
Vingt-mille lieues vers l’Indicible
Le capitaine hollandais du Déméter, l’armateur de l’expédition au patronyme slave et son garde du corps mexicain, le jeune cartographe et mathématicien de génie français, l’ingénieur allemand, le second borgne du capitaine : en nous présentant l’équipage, plutôt pittoresque, de cette expédition, Silas semble presque nous projeter dans un roman à la façon de Jules Vernes. D’ailleurs, dès le début du livre, ce sont bien l’odeur des embruns, le bruit dans les cordes et les verres de cherry autour de la table du capitaine après le souper qui m’ont immergé dans cette aventure aux relents maritimes(*).
(*) Je dirais même plus : des relents aussi fantastiques que maritimes !
Enfin, ça et la promesse que maître Tapolsky, l’armateur à l’origine de l’expédition, a faite à l’équipage en l’engageant : que le fameux Édifice, lorsqu’ils l’auront enfin trouvé, leur révélera des secrets fantastiques, capables de repousser les frontières de la science, et leur apportera ainsi, à tous, une gloire valant tous les dangers ! J’ai ainsi voyagé, comme Silas, comme les matelots et comme Madame Cossile, une jeune noble caustique et seule femme à bord(*), en attendant que le cartographe et le capitaine trouvent enfin le passage par lequel faire se faufiler le Déméter et au-delà duquel allait se trouver l’Édifice. Et quand pas loin de le voir, Silas a raconté de quelle manière il venait de trépasser, j’ai fait tout comme lui : je ne me suis pas démonté, et je l’ai retrouvé, bien vivant, au chapitre suivant. À recommencer le même périple, avec lui, et à revivre la même histoire ! Ou presque.
(*) Riche et cherchant l’aventure ? En tous cas, elle charme notre narrateur tout autant qu’elle lui tape sur les nerfs !
“On progresse”
Oui, “ou presque”. Car ce qui va se dérouler après le décès du narrateur n’est évidemment pas exactement semblable à ce qui s’est passé avant. Tout d’abord pour la bonne et simple raison que Silas se souvient, quoique qu’imparfaitement, de ce qui lui est arrivé avant de mourir ! Et ensuite, parce que, bien qu’il s’agisse de refaire le même périple à bord du Déméter, la situation semble avoir un peu changé. Le Déméter n’est plus un voilier, mais est propulsé par la vapeur ; l’expédition ne vogue plus sur les eaux au-delà de la Norvège à la recherche du passage menant à l’Édifice, mais en vue de la Patagonie ! Pareil aussi pour la période historique : l’action semble s’être subtilement déplacée du début à la fin du XIXe siècle.
Bref, ça progresse. Et on va donc un peu plus loin. Et comme Silas, on commence à se poser quelques questions. Rêveries ? Délires, ou souvenirs ? Des questions de toute façon rapidement balayées par l’arrivée de l’Édifice en point de mire et par l’inévitable décès, à nouveau, du narrateur. Et c’est là que Reynolds se révèle impeccable dans la construction de son histoire, car on a beau se douter de quelque chose quand, après quelques boucles, surgit enfin la vérité de la situation que traverse l’équipage du Déméter, c’est la claque ! Mieux encore : loin de se contenter de ce retournement de situation drastique et impressionnant, l’auteur profite au contraire de ce moment pour immerger encore plus le lecteur dans un récit transformé dont l’urgence ne le dispute qu’au souffle héroïque. Les dernières pages en deviennent du coup plutôt haletantes, et je me suis d’autant plus accroché(*) au livre, il faut bien le dire !
(*) Physiquement, je veux dire : à deux mains, les doigts presque tétanisés !
Et c’est tout ?
C’est tout : vous n’aurez pas droit à une analyse des personnages secondaires, dont certains semblent plats ou stéréotypés, au contraire d’autres qui se feront rapidement une place dans l’intrigue : je préfère vous laisser les découvrir, ainsi que leurs vrais rôle et caractères, lorsque vous en serez à aborder les derniers chapitres. Tout comme je vous laisse le soin de découvrir de quelle manière Reynolds parvient à faire évoluer son intrigue, jusqu’à la catapulter, avec ses protagonistes, dans l’espace inhospitalier.
Oh, un dernier point, histoire de vous ferrer : dès les premières pages, on apprend que la marotte de Silas, lorsqu’il n’est pas trop occupé, consiste à s’essayer à la rédaction d’un roman d’aventures et… d’anticipation ! Oui. Comme une sorte de mise en abime !
Au final !
Excellent en tout point, digne d’une mécanique horlogère de haute précision, plaisant jusqu’à la dernière page, Reynolds livre ici un presque sans faute ! Les grincheux argueront que le thème n’est pas si neuf ? Tant pis ! On a là un “page-turner”, qui rend hommage à presque toute la littérature de l’imaginaire, de Jules Vernes à Edmond Hamilton en passant par H.P.L. ! Qui n’ennuie pas le lecteur une seconde, et ne demande même pas d’être familier du genre !
Bref, je ne prends pas de beaucoup de risques en vous recommandant la lecture d’Éversion : des livres comme celui-ci, abordables et grandioses, font partie des raisons qui me font lire de la science-fiction.
Fiche JKB
Titre original :
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4 réponses à “Éversion”
Découvrir qu’un lecteur a eu autant de plaisir à lire cette traduction que j’en ai pris à la faire, c’est toujours chouette. 😉
C’était vraiment un plaisir de lecture. Je ne note que rarement le taf’ effectué par le traducteur, mais l’occasion m’étant donnée : Merci M. Durastanti : c’est une traduction au cordeau que vous nous avez livrée, là !
C’est une très belle chronique ! Après avoir lu “Vengeresse”, qui m’a incroyablement déçue, j’avais quelques à priori avec cet auteur. Là, tu titilles ma curiosité, donc à l’occasion, j’ajouterai cet ouvrage sur ma PAL.
Ravi d’avoir éveillé ta curiosité !