On dit de la science-fiction, un peu de manière condescendante, qu’elle représente surtout un moyen de se divertir, une sorte d’échappatoire au réel, destiné à faire rêver, et c’est bien souvent vrai(*). Il arrive pourtant aussi qu’elle engendre des textes proprement vertigineux et époustouflants, dépassant de loin ces attentes, comme “La Maison des Soleils”. Avec son intrigue se déroulant sur plusieurs siècles, loin, mais alors très loin, dans le futur, et comme décor rien de moins que l’immensité de notre galaxie, Alastair Reynolds a eu envie de pousser les curseurs au maximum avec ce roman.
(*) Et heureusement, vu le monde dans lequel on vit ! Après, si en plus ça peut aider un peu à réfléchir, on va pas se plaindre non plus !
Comment une branche de l’humanité, faite de clones, s’est décidée à sillonner la galaxie et a traversé les âges sur plusieurs centaines de milliers d’années. Comment cette famille en est venue à être considérée comme des quasi-dieux par des multitudes civilisations galactiques, à leurs yeux, éphémères. Et découvrir comment, malgré leur ancienneté et leur puissance, même eux se sont retrouvés pris dans une embuscade meurtrière tendue par un ennemi mystérieux aux ressources inconnues. Voilà juste les prémices du récit auquel l’auteur nous invite, pas moins ! Un pari ambitieux donc, mais plus que réussi à mes yeux, tant j’ai été époustouflé par l’inventivité et la démesure presque sans limite que recèle ce roman.
La Maison des Fleurs
Ou la Lignée Gentiane. Ainsi se nomme cette famille de mille clones, tous différents mais partageant tous le code génétique d’Abigail Gentiane, qui se promène dans notre galaxie depuis six millions d’années ! Des clones, nommés “éclats”, issus d’une fondatrice née dans notre futur proche(*) qui, comme d’autres Lignées à l’époque, ont décidé d’échapper à notre système solaire et à sa civilisation stagnante en s’engageant dans un voyage au long cours. Très long.
(*) Proche, proche !! Mille ans plus ou moins des bananes ! On va pas chipoter quand on cause de gens en vie depuis six millions d’année, non ?!
Sans technologie permettant de s’affranchir des lois de la physique relativiste, mille vaisseaux affrétés par Abigail se sont élancés à la découverte de l’immensité de la galaxie. Dans l’espoir que cet effort serait récompensé par des découvertes, scientifiques, astronomiques et pourquoi pas extra-terrestres, à la hauteur du challenge. Ce qui a bien entendu été le cas, puisque la Lignée Gentiane est toujours présente dans la galaxie, alors qu’autour d’eux les empires stellaires humains s’élèvent et chutent avec une consternante régularité.
Un crime, une enquête
L’auteur nous fait entrer dans son histoire en suivant deux des représentants de cette Lignée, Purslane et Campion, qui, au mépris des règles de la famille, vivent et voyagent en couple. Pris par leurs affaires, c’est en retard qu’on les voit arriver au lieu de rendez-vous de la grande Réunion que la Lignée organise tous les deux cent mille ans afin de partager souvenirs et découvertes. Un retard salvateur, car arrivés sur le lieu de la Réunion, c’est la dévastation : des centaines de vaisseaux en pièces, explosés, carbonisés. Atomisés, quoi ! Et à peine quelques dizaines de survivants de la Lignée, quasi exterminée du coup, encore sous le choc mais trop heureux de voir se pointer nos deux retardataires. Et une fois passé le temps du deuil et de l’étonnement, tout le monde se retrouve naturellement bien décidé à comprendre ce qui vient d’arriver(*). Et pourquoi.
(*) Et aussi à se faire justice, ‘faut pas déconner ! C’est pas parce qu’on est un demi-dieu qu’on ne ressent pas l’envie de venger sa famille !
L’enquête va alors démarrer pour mettre en lumière le mobile de ce crime et en punir l’auteur, et pour cela la Lignée va mobiliser tous ses moyens et tous ses alliés. Et quand on est la Maison des Fleurs, celle qui rend service à tout le monde dans la galaxie depuis des millions d’années, on a mis quelques ressources de côté et on a pas de mal à demander quelques services en retour.
Post-humains. Si humains.
L’un des tours de force de l’auteur est de plonger le lecteur dans son intrigue en compagnie de protagonistes aux capacités certes au-delà de l’imagination, mais finalement en proie à des passions bien humaines. Comme l’amour que se portent Purslane et Campion(*), et même la colère que ressentent tous les survivants de la Lignée Gentiane, et que le lecteur ne tarde pas à faire vite sienne.
(*) Elle et donc lui. Oui j’ai dit des clones, mais bon, avec des variations !
Autre réussite de ce roman, intercaler, très régulièrement et très intelligemment, quelques chapitres narrant la jeunesse d’Abigail, la fondatrice de la lignée, ainsi que la succession de choix l’ayant amené à fonder la Maison des Fleurs. L’occasion aussi de nous plonger, au milieu de ses souvenir, dans un conte de fées interactif auquel la jeunette s’adonnait à l’excès et qui offre une sorte de parabole de l’intrigue générale, avec son méchant mystérieux(*) qui lui semble ne rien ignorer de la Lignée Gentiane. Une sous-intrigue agréable et qui offre un contrepoint aux immensités stellaires que traverseront les membres de la Lignée lors de leur chasse aux meurtriers.
(*) Oui, c’est bien la Maison des Soleils, les méchants, et on le découvre assez vite. Le problème est que personne n’en a jamais entendu parler !
The Wonders I’ve seen
Reynold est connu pour ses idées science-fictionnelles certes radicales mais ancrées dans la réalité, le monsieur étant à la base un astrophysicien qui aime et connait son sujet. On pourrait donc craindre une enfilade d’exposés scientifiques imbitables par le mortel moyen, mais il n’en est rien ! Au contraire, puisque l’auteur loin de sa veine “Hard SF” nous invite plutôt à un space-opéra où les technologies et les civilisations post-humaines peuplant notre galaxie sont si incroyablement avancées qu’elles n’ont pas besoin de longues explications(*).
(*) Le moment de citer une des lois de m’sieur Clarke : “Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie.”
Et de fait, les explications, si on veut vraiment en chercher, tiennent en un seul argument : l’incroyable échelle de temps qui s’applique à la Lignée Gentiane et à ceux qui, comme elle, ont survécu au passage du temps. En six millions d’années l’humanité et ses descendants ont eu le temps d’inventer, d’expérimenter et de découvrir presque tout ce qui est réalistement imaginable : des humains grands comme des astéroïdes, flottant dans l’espace, mi-banques de données, mi-observatoires de l’évolution de la galaxie ; des artefacts stellaires aliens plus vieux que l’humanité elle-même, capables d’empêcher une supernova d’exploser ; et même, plus banalement, une civilisation de robots intelligents et pacifiques ayant survécu à la civilisation humaine l’ayant engendrée.
Au final…
“La Maison des Soleils” est une invitation faite au lecteur à se laisser aller à l’émerveillement face à la beauté de l’univers plutôt qu’à chercher à mettre ce dernier en équation. Et même si l’intrigue peut se résumer facilement par une chasse aux méchants assassins, elle finit tout de même par se révéler plus profonde que cela, explorant au final et avec assez de légèreté des thématiques telles que la place de l’histoire ou de celle de la mémoire dans toute société(*).
(* ) Comme je le disais plus haut “…et si ça peut aider à réfléchir…”
Recommandé, alors ? Oui, et même fortement ! Et même si bien sûr ça cause quand même un peu d’astrophysique, rassurez-vous, il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat pour y comprendre quelque chose. Laissez-vous aller et suivez donc Purslane et Campion dans leur voyage et leur enquête ! Passionnez-vous pour les rencontres qu’ils feront, et pour les rebondissements qui les prendront par surprise ! Faites donc un tour dans cette galaxie avec la Lignée Gentiane, en attendant qu’elle mette enfin la main sur cette satanée Maison des Soleils ! Le voyage en vaut vraiment la peine !
Fiche JKB
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