Par Frederik Pohl
Cette fiche est ma quatrième chronique sur la série Gateway. La lire sans au moins avoir lu les livres ou les fiches précédentes n’a pas grand intérêt… À vous de voir…
Spoilers La fin de “Rendez-vous à la Grande Porte” (Heechee Rendezvous) apportait pas mal de réponses aux questions laissées en suspens depuis le premier volume, comme la nature des Heechees et la raison qui les avait poussés à disparaître de notre galaxie ! Loin de l’avoir désertée, ces derniers s’étaient en fait réfugiés dans un trou noir, leur technologie en avance de quelques millions d’années(*) le leur permettant aisément, et ce n’est qu’à cause de l’agitation des humains qu’ils avaient daigné en ressortir. C’est qu’à force de s’agiter, les humains risquaient en effet de réveiller l’Ennemi ! Cette civilisation presque aussi vieille que l’univers, qui semblait passer son temps à anéantir toute nouvelle vie intelligente dès qu’elle émergeait dans un coin de notre galaxie.
(*) Rappel : leurs vaisseaux, vrai sujet du premier roman, permettent en effet de parcourir toute la galaxie, en s’affranchissant apparemment des règles de la relativité d’Einstein ! Tu m’étonnes que s’abriter dans un trou noir c’est à leur portée ! Les doigts dans le nez !
Mais surtout, notre fameux Robinette “Bob” Broadhead, narrateur et héros depuis le début en venait à bêtement mourir, lui à qui la richesse et la “médication totale” promettaient encore une longue et heureuse vie. C’est pourtant encore lui que l’on retrouve dans le rôle de narrateur de ces “annales des Heechees” ! Même s’il a effectivement un peu changé…
Ghosts in the machine
“L’espace Gigabit”, voici comment est nommé (et traduit) le réseau informatique capable de stocker des quasi IA, comme le simulacre d’Albert Einstein qui suivait Bob depuis le volume deux. Frederik Pohl a écrit cette troisième suite en 1987 et même s’il était plus que familier avec la science de son temps, jamais il n’a parlé de réseau internet, ni d’IA plus ou moins consciente, tout du moins en ces termes : contemporain des débuts du “cyberpunk”, il n’en avait pas adopté les codes(*). Estimant néanmoins que le coup de pouce que la technologie Heechee permettrait dans le futur à une informatique encore balbutiante à son époque, Pohl part du postulat que le stockage de la conscience d’un humain a fini par devenir un fait, et même des plus communs : l’immortalité dans la machine !
(*) Et à l’époque, il devait à peine en avoir entendu parler…
Espace Gigabit, donc. Dans lequel la conscience de Bob continue à vivre, merci bien ! Et à interagir avec le monde réel, en même temps qu’avec tous les autres stockés, humain ou même heechee ! Un mode de vie ultra-rapide, et pas forcément linéaire, qui lui permet de parcourir la galaxie en tant que président de l’Institut d’Observation collective des Assassins à bord de son vaisseau, l’Amour. Le tout en vivant une vie certes simulée, mais dans laquelle il lui est possible de manger, boire, faire la fête… et même l’amour, avec sa femme, Essie, une stockée elle aussi !
Les Assassins, l’ultime Ennemi
Ainsi donc les Heechees faisaient les morts depuis un petit demi-million d’années de peur d’être repérés par L’Ennemi ! Un ennemi que les humains, depuis qu’ils en ont appris l’existence, ont nommé les Assassins, vu qu’on suppose leur devoir une galaxie presque vide de toute vie intelligente. Presque, car des aliens ayant survécu à leur rencontre, deux en tout, en ont gardé quelques souvenirs. Des souvenirs plutôt traumatisants validant une théorie qui s’imposait de plus en plus aux Heechees. Lesquels dans leur recherche d’une vie intelligente, avaient surtout pu constater que chaque planète assez hospitalière pour en avoir abritée, semblait avoir subi des ravages d’ampleur cosmique(*).
(*) Et vas‑y que je te déplace ta planète à 100 UA de son étoile ! Et hop, je te déglingue ton soleil pour en faire une géante rouge ! Poum ! je vaporise ton atmosphère et j’arase ta surface, façon boule de billard ! Cosmique et létal, donc.
Depuis que les Heechees ont reparu et pris contact avec les humains, les deux civilisations se sont trouvés des points communs. Vivre, même sous forme d’esprits stockés. En profiter pour découvrir les beautés de la galaxie. Fonder des familles et faire perdurer son espèce. De petites ambitions que l’existence de l’Ennemi ne vous laisse évidemment pas envisager avec sérénité ! Surtout qu’on a trouvé la singularité dans laquelle il se cache, pas loin de notre galaxie. C’est cette singularité que l’Institut d’Observation collective des Assassins, sous la direction de Bob, surveille désormais. Avec l’angoisse permanente de le voir en sortir…
Narration “non-linéaire”
Hum ! L’atout majeur de cette série avait toujours été la gouaille dont était doté son narrateur. Un Bob qui ne cessait de croiser différentes lignes narratives, entremêlant son présent, ses souvenir et ce qu’on lui avait raconté. Le tout en s’interrompant souvent pour des discussion avec ses IAs préférées, et surtout depuis le second volume avec Albert Einstein(*). Cela dit avec un Bob vivant à la vitesse d’une IA, multipliant ses avatars et ses rencontres, et dont la vie n’est pas linéaire, on passe à une niveau un poil supérieur. Ce qui nous donne droit à un rythme effréné pour une intrigue principale, finalement peu haletante, qui mêle le destin de trois enfants, dont un Heechee, à des ennuis de classe cosmique, là encore.
(*) Le factotum de Bob, chargé de faire son éducation, et celle du lecteur, en matière d’astrophysique. C’était pour moi un des points forts du volume précédent : on en ressortait nettement plus cultivé. Même avis pour celui-ci.
Au final…
C’est avec ce volume que j’avais découvert cette série, et à l’époque je l’avais bien aimé, même sans le contexte. Mais cette relecture, après avoir lu les volumes qui le précèdent, m’a un tout petit peu déçu. Sans doute car la partie de l’intrigue concernant les trois gosses m’a semblé un peu facile(*). Je parie tout de même qu’elle saura toucher d’autres lecteurs, moins grincheux que moi et qui découvriront le texte !
(*) Ça me semble toujours une sorte de piège pour le lecteur que je suis, les enfants dans une histoire. Je veux bien sûr qu’ils s’en sortent ! Mais non, je ne les trouve ni mignons ni intéressants, donc raté pour le renforcement du lien émotionnel !
Cela dit, c’est toujours abordable, un poil bordélique et marrant ! Et les cours d’astrophysique sur les débuts de l’univers et sa fameuse “masse manquante”, ainsi que l’introduction à la “supersymétrie” m’ont à nouveau bien plu : je me crois moins bête qu’avant ! Moins réussi que le troisième, mais tout de même distrayant, ce volume est donc recommandé si on a suivi, et aimé, jusqu’ici les aventures de Bob !
Fiche JKB
Titre original :
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