La quĂȘte onirique de Vellitt Boe

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8 minutes

Par Kij Johnson

Kij johnson, que je ne connaissais pas du tout, se trouve ĂȘtre elle aussi au sommaire de l’anthologie anglophone “Reimagining Lovecraft”, tout comme les novellas les “Agents de Dreamland” et la “Ballade de Black Tom” .

“- Encore une Lovecrafterie !?”, allez-vous vous exclamer
 Oui, mais il ne s’agit pas pour une fois d’un texte d’horreur. Au contraire mĂȘme, car ici l’autrice a dĂ©cidĂ© de nous emmener (re)visiter les ContrĂ©es du RĂȘve, celles que Lovecraft dĂ©crivait dans “La QuĂȘte onirique de Kadath l’inconnue”.

Je n’avais moi-mĂȘme pas remis les pieds dans ces ContrĂ©es du RĂȘve depuis prĂšs de trente ans(*). C’est donc avec vraiment un minimum de bagages que je me suis lancĂ© dans cet voyage-hommage, ce qui ne m’a pas empĂȘchĂ© de l’apprĂ©cier. J’en suis d’ailleurs ressorti avec l’envie de relire le texte original.

(*) Trente ans sans avoir relu le texte de HPL. Mais en vĂ©ritĂ©, j’y retourne presque chaque annĂ©e en compagnie d’un chien et d’un chat. Mais il s’agit d’un autre livre et d’une autre histoire qui verra bientĂŽt paraĂźtre sa critique sur ce blog.

Ulthar, son Université et ses chats

La ville d’Ulthar, une citĂ© de taille moyenne des ContrĂ©es du rĂȘve peuplĂ©e d’humains et de nombreux chats(*), abrite, comme d’autres villes de ce monde onirique, une universitĂ© dĂ©diĂ©e Ă  la connaissance et aux Ă©tudes. En son sein nĂ©anmoins se loge une exception notable : son CollĂšge des femmes ! Exceptionnel, car offrant aux femmes la possibilitĂ© de se consacrer Ă  l’étude et l’apprentissage, il est dirigĂ© (presque) en toute autonomie par une direction Ă©galement fĂ©minine, constituĂ©e de professeures, de doyennes et du personnel administratif habituel de ce genre d’établissements. Une raretĂ© dans ce monde tout autant dominĂ© par le patriarcat que le nĂŽtre !

(*) Il est d’ailleurs rappelĂ© que ces perfides fĂ©lins aux miaulements enjĂŽleurs, peuvent voyager entre les mondes du rĂȘve et du rĂ©el selon leur bon vouloir.

Ayant posĂ© lĂ  ses bagages aprĂšs une jeunesse faite de voyages et d’aventures pĂ©rilleuses, Vellit Boe s’y est trouvĂ©e si bien qu’elle s’y est Ă©tablie dĂ©finitivement en tant que professeure dans le domaine des mathĂ©matiques. Et c’est entre ces murs, dans le calme tout relatif de l’enseignement, qu’elle laisse doucement les annĂ©es filer et le souvenir de ses pĂ©rĂ©grinations de jeunesse s’estomper. Enfin, jusqu’à ce que s’ouvre le livre !

À la poursuite des amoureux

L’existence du CollĂšge des femmes est en effet soudainement chamboulĂ©e par un Ă©vĂ©nement des plus romantiques : l’une des trois Ă©tudiantes favorites de Vellit vient en effet de fuguer et semble avoir quittĂ© Ulthar pour suivre son rĂ©cent bĂ©guin, un visiteur du monde rĂ©el, un “RĂȘveur”(*). Celui-ci lui a en effet proposĂ© de l’emmener dĂ©couvrir son monde, une perspective attirante pour la jeune Ă©tudiante aussi curieuse qu’amoureuse. Mais pour quitter le monde des rĂȘves, le jeune couple doit se rendre jusqu’à l’un des rares passages qui permettent de passer d’un monde Ă  l’autre : un voyage sur des routes hasardeuses qui pourrait bien se rĂ©vĂ©ler fatal pour ces deux jeunes amoureux inexpĂ©rimentĂ©s !

(*) Terme qui dĂ©signe les visiteurs venus du monde rĂ©el, la Terre, et qui parviennent Ă  rester dans les ContrĂ©es du RĂȘve, tel le fameux Randolph Carter, hĂ©ros de “La QuĂȘte onirique de Kadath l’inconnue” et ancien amant de Vellit.

C’est bien sĂ»r parce qu’elle s’inquiĂšte pour son Ă©lĂšve que Vellit dĂ©cide de se lancer Ă  leur poursuite, mais c’est une autre raison qui rend son dĂ©part aussi impĂ©ratif qu’immĂ©diat aux yeux du conseil du CollĂšge ! Le scandale de cette fugue pourrait en effet bien mettre fin Ă  la tolĂ©rance qui permet l’existence mĂȘme du CollĂšge de femmes au sein de l’universitĂ© d’Ulthar ! Rendossant alors son sac Ă  dos usĂ© et s’équipant de son vieux bĂąton de marche, la voilĂ  donc partie d’un bon pas comme au temps de sa jeunesse, seulement accompagnĂ©e d’un chaton noir qui, la voyant quitter l’universitĂ© d’Ulthar, s’attache Ă  ses pas.

“De trois à douze jours, selon son humeur
”

Les royaumes, les vallĂ©es et les fleuves des ContrĂ©es qu’on traverse lors du voyage de Vellit sont aussi fantastiques qu’on pourrait s’y attendre, s’agissant d’un monde onirique. En lecteur averti, pourtant, certaines descriptions, ou mĂȘme le rappel de certains Ă©tats de faits propres Ă  ce monde, m’ont parfois totalement pris par surprise ! Comme lorsque Kij Johnson indique que, dans les ContrĂ©es, les lois de la physique passent bien aprĂšs les caprices des dieux, et que mĂȘme la durĂ©e d’un voyage en voilier peut varier selon les envies de la mer ou la mauvaise volontĂ© d’un fleuve !

Et c’est Ă  plusieurs reprises que je me suis fait rappeler, par la plume subtile de l’autrice, Ă  quel point ce monde Ă©tait unique dans le genre du fantastique : quand Vellit contemple au loin une montagne, immense au point de presque dĂ©chirer le ciel, c’est parce que, littĂ©ralement, le ciel est bel et bien une voute physique ! Un ciel Ă©trange pour nous autres du monde rĂ©el, une toile mouvante, pouvant laisser apparaĂźtre des formes fugaces, reflets peut-ĂȘtre de quelque mouvement d’un monstre ou d’un dieu, et qui n’abrite en tout et pour tout que nonante-sept(*) Ă©toiles ! Bref la quĂȘte de Vellit est un voyage certes risquĂ©, mais qui a vraiment de quoi Ă©merveiller par ses paysages, ses citĂ©s et ses rebondissements !

(*) Soit 97, en suisse-romand.

Le monde de Lovecraft vu par une femme

Suivre Vellit Boe dans son pĂ©riple est un plaisir bien sĂ»r dĂ» aux merveilles et aux Ă©trangetĂ©s des ContrĂ©es, qu’on traverse avec elle, mais c’est Ă©galement parce que l’aventuriĂšre qu’elle Ă©tait, et qu’elle se voit forcĂ©e de redevenir, est d’une sacrĂ©e trempe ! Courageuse, obstinĂ©e, presque faite d’acier, il n’y a quasiment pas un moment qui la verra reculer devant les difficultĂ©s de sa quĂȘte ! Parmi ces difficultĂ©s, on trouvera bien entendu celles que peut causer la frĂ©quentation des goules(*), ou le fait de traverser la “forĂȘt des zoogs”, mais aussi celles auxquelles une femme, qu’on prĂ©fĂšre considĂ©rer comme fragile et vieille en raison de ses cheveux gris, doit chaque jour surmonter. Et j’ai personnellement adorĂ© la maniĂšre dont Vellit Boe se rĂ©vĂ©lait au long du livre un personnage discret mais fort.

(*) Ce livre a beaucoup changĂ© mon avis sur ces ĂȘtres mangeurs de cadavres. Si, si ! Et ça changera le votre aussi !

La postface/interview de l’autrice indique bien, pour qui ne l’aurait pas remarquĂ©, que la grande thĂ©matique de cet hommage consistait Ă  faire d’une femme le sujet principal, pour une fois, d’un texte tournant autour des univers de Lovecraft. Et pour le coup, c’est Ă  mon avis tellement bien rĂ©ussi qu’on ne peut pas Ă  proprement parler ici d’un texte qui n’aurait d’autre dimension que fĂ©ministe. C’est bien entendu une dimension prĂ©sente, surtout dans le renversement qui s’opĂšre dans le dĂ©nouement de l’histoire, mais c’est un texte rĂ©ussi mĂȘme si on oublie cette particularitĂ©.

Au final


J’ai Ă©crit, alors que je l’avais pas encore fini, que ce livre avait Ă©tĂ© l’un de mes plus dĂ©licieux voyage de cet Ă©tĂ©, et je ne vais pas revenir lĂ -dessus ! Et mĂȘme si je me dis a posteriori que j’aurais peut-ĂȘtre dĂ» prendre le temps de relire le texte de Lovecraft avant de lire celui-ci, je ne me suis pas du tout senti frustrĂ© de mes manques en matiĂšre de rĂ©fĂ©rences. Kij Johnson a donc rĂ©ussi lĂ  un trĂšs bon texte, qui de plus m’a donnĂ© une forte envie de lire le texte de Lovecraft. Ce qui me conduira sans doute Ă  relire ce livre Ă  la suite ! Si c’est pas une rĂ©ussite, ça


Un dernier truc : j’ai voulu au moins une fois appuyer sur le fait que l’écriture de Kij Johnson Ă©tait du grande subtilitĂ©, mais je n’arrive pas Ă  m’empĂȘcher de le faire remarquer une fois de plus ! Le ton, le choix des mots, la concision de certaines phrases qui posent un dĂ©cor total en moins de 5 mots : j’ai Ă©tĂ© Ă©patĂ© dĂšs les premiĂšre pages, et ça n’a pas changĂ© par la suite. GrĂące soit donc rendue ici Ă  la traductrice de l’ouvrage, Florence Dolisi dont le travail est Ă  mon avis magnifique !


Fiche JKB

  • Genre : Voyage initiatique/Hommage Lovecraftien/Fantastique/FĂ©minisme.
  • Wow Level : 8/10. Pour la fluiditĂ©, la revisite et un texte qui m’a fait voyager.
  • Note personnelle : 7/10. Mais il est fort possible que la note Ă©volue

  • À peine deux cent pages. Se lit dans l’espace d’un week-end.
  • ProbabilitĂ© de relecture : 10/10.

Titre original :

The Dream-Quest of Vellitt Boe

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2016

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